Mal au ventre. Les tripes qui se tordaient. Le coeur, surexcité, qui envoyait des trombes de sang tambouriner jusque dans ses oreilles.
La jeune femme se sentait nauséeuse. Installée seule, dans un genre de salle d'attente ou personne ne lui tenait compagnie, elle attendait. Longuement, incapable de rester sans bouger.
Machinalement, elle entortillait ses doigts dans la longue natte que lui avait tressé l'Hanaerobi, quelques heures plus tôt. Juste après un solide petit déjeuner qu'elle s'était vite empressée d'aller partager avec les toilettes. Finalement, Sanae et Shigemori avaient réussi à la calmer. A peu près.
Hyûma n'avait pas fait autant de chichis, lui. Le majordome, insensible à l'évènement, était resté fidèle à lui même tout au long de la matinée. A des années lumières de l'énergique et volubile Ashikaga, qui s'était traînée jusqu'à l'arène en cherchant du réconfort auprès des siens.
« Mais oui,
ça va bien se passer. Ha tu parles, mon cul que ça va bien se passer. J'vais me faire torpiller par un bourrin dopé aux amphet' qui vomit du plasma, et la foule va se réjouir des effets spéciaux. Ninjas à la con. »
Elle avait beau ruminer tout son saoul, c'était elle, qui avait voulu venir. Sanae lui avait suggéré à maintes reprises de ne pas participer d'abord, puis de se désister. Mais non: Oboro avait voulu jouer le jeu, et tenter le truc. Quelque part, elle était sûre d'avoir quelque chose à tenter. Elle s'était exercée à faire des choses simples, mais efficaces. Ca devrait marcher. Même si son corps, la boule qu'elle avait au ventre, le nœud qui lui enserrait la nuque, ses genoux tremblotants et ses mains frétillantes lui hurlaient tous son propre malaise.
D'un autre coté, ruminer était un excellent moyen de passer le temps. Oboro adorait ruminer ; ceux qui la côtoyaient entendaient parfois la sobriquet d'Oboronchonne sortir à l'improviste.
Mais tout ça... n'avait pas la moindre importance. La porte venait de s'ouvrir.
On venait la chercher.
Quoi qu'il devait arriver, ça n'allait pas tarder à avoir lieu.
*
* *
Sanae devait être là, quelque part dans les gradins... mais elle ne la vit pas. Il y avait trop de monde... il y avait tant de monde... qu'elle n'osait même pas distinguer quelqu'un là dedans.
La gorge serrée, elle laissa tomber la recherche de son amie. Balayer la foule du regard était mauvais pour son coeur, et son haleine commençait à refléter quelques relents gastriques qu'elle n'avait pas spécialement envie de déverser ici. Sanae pouvait savoir qu'elle avait la trouille, et Shigemori était acceptable. Hyûma avait été chassé sans ménagement, et il était hors de question qu'elle se mette à ça devant tant de monde.
Autant se concentrer sur le terrain. Les quelques personnes qui traînaient encore dessus, les étranges marques de... flammes?... qui témoignaient des combats précédents...
« Han putain.
Y'a vraiment quelqu'un qu'a craché du feu?
Bon. Bon. Bon. D'accord, cocotte. Tu es là. Tu es venue là. San' avait raison, c'était carrément pas une bonne idée. C'était de la merde, je vais me faire chier dessus par un putain d'ninja, et en plus je devrais m'estimer heureuse si je fais rien d'autre que me prendre la tollée de ma vie.
Chais même pas ce qui t'as prit de...
Putain d'bordel de pourriture de fiel de chiottes...
Kesskecékça? C'est qui ce kopec? »
Son adversaire se présenta à elle. Visiblement. Elle ne l'avait pas remarqué tout de suite, mais ça devait être lui. A la fois beaucoup moins intimidant que l'énorme machin musculeux qu'elle imaginait depuis quelques jours, et probablement moins inoffensif que ce qu'il en avait l'air. C'était un jeune homme, assez frêle compte tenu de ses misérables stat' de force et de vitalité, qui n'avait pas l'air particulièrement dangereux à première vue.
Seulement à première vue. L'étui à projectiles qu'il portait à la ceinture ressemblait désagréablement à celui qu'elle même avait. Et pour s'y être entraînée, elle savait que les shuriken pouvaient être étonnamment dangereux quand on prenait le coup de main qu'il fallait pour discipliner leur trajectoire.
De même, quelque chose dans son regard... elle ne savait pas quoi, mais le jeune homme avait l'air en confiance. Quelque chose dans son allure indiquait le ninja de pedigree. Peut être bien que le récit précédent ne l'avait pas qualifié de "jeune noble" pour rien. Elle ne parvenait pas à se l'expliquer, mais rien de tout ça ne la mit en confiance.
D'un hochement de tête, il la salua.
Ses entrailles, déjà de plomb, s'enfoncèrent encore un peu plus profondément dans son ventre.
Elle répondit du même geste, un peu plus pâle qu'à l'accoutumée.
Sanae lui avait souvent fait remarquer qu'elle était extrêmement sensible au stress. Et que, bien souvent, cela influait terriblement sur l'ensemble de ses performances, quelque soit ce qu'elle faisait.
« Comme si j'étais pas au courant, ma jolie. Dans ce cas, trouve-moi un truc pour éviter ça? »
A vrai dire, c'était déjà fait. L'Hanaerobi l'avait plus ou moins entraînée à relativiser, et à parler toute seule. Mentalement, ça l'aidait à garder le cap. Même quand elle semblait sérieusement dérailler.
Encore nerveuse, Oboro jeta un autre regard dans la foule. Elle aurait bien aimé les apercevoir, tout de même. Sanae, Shigemori, peut être même Hyûma...
Il lui fallu un long moment pour se rendre compte que quelqu'un parlait. Elle ne comprenait pas se qui ce disait, mais les dernière paroles furent claires comme de l'eau de roche.
L'arbitre n'allait pas tarder.
Oh bon sang.
Ca n'allait plus tarder.
Le silence dans l'arène lui vrilla les tympans. Tous ces regards portés vers elle avaient quelque chose d'assourdissant à leur manière. Elle avait la tête qui tournait. Elle sentait leur poids lui enraciner les épaules.
Et surtout, fini-t-elle par remarquer, elle ne faisait plus du tout attention au jeune homme d'en face.
C'était son adversaire.
Adversaire.
Ennemi.
Si elle pouvait gagner, elle devait gagner vite. Très vite. Mettre le paquet, et y aller à fonds.
Sinon... Sanae lui avait dit d'abandonner. Ne pas prendre de risques. Et elle avait beau en avoir dit ce qu'elle pensait sur le coup, l'idée semblait maintenant on ne peut plus pertinente.
Et le signal fut donné.
*
* *
-'Kay, ça va chier...
Sukejuro attendait de voir comment allait agir son adversaire. En général, l'aspirant préférait s'adapter. Il se contenta de garder ses distances, et commença à évoluer latéralement, histoire de ne pas pas constituer une proie facile.
-Tu vas voir ce que je suis venue faire...
Il ne la connaissait pas. Même pas de vue. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait faire. Et l'inconnu était, à son sens, le plus dangereux des facteurs dans ce combat.
-On est pas là pour rien.
Oboro, pour sa part, fonça en diagonale pour se replacer, empoignant autant de shuriken que possible durant sa course.
-HYAAAAAAAH!Enchaînant les coups secs et décidés, Oboro fit fuser ses projectiles en une succession ininterrompue d'étoiles acérées. Prévoyant le coup, l'autre se jeta sur sa gauche, évitant une partie de la première volée. L'aspirante continua son attaque sans s'en préoccuper, et ne vérifia même pas si elle faisait mouche: elle n'avait pas assez de temps, ni assez de munitions pour cherche à ajuster quoi que se soit.
Rampant partiellement à quatre pattes pour se rétablir de l'esquive, l'autre plongea la main dans sa propre sache en se dégageant nettement sur le coté.
« Han, lui aussi?
FAIS VOIR CE QUE T'AS! »
Les deux ninjas évoluaient lentement, cherchant le bon compromis entre la sécurité de leurs déplacements et la précision de leurs attaques. A leur niveau, pourtant, ça n'était guère qu'en théorie que la manoeuvre était valable. Toutes les attaques firent mouche, l'acier ripant sur les chairs des deux combattant.
Sukejuro réprima un gémissement de douleur. La première étoile l'avait atteint à la tempe, et la douleur avait survolté ses sens. D'un coup d'épaule dans le vide, il parvint à amortir le choc des deux autres étoiles, mais même celles-ci ne l'épargnèrent pas. A peine l'attaque encaissée qu'il récupéra d'autres projectiles dans sa sacoches. Il n'avait pas la moindre seconde à perdre.
En face, la jeune femme était tombée à court de munitions. Sans étoiles à lancer, il ne lui restait plus qu'à...
C'était le moment que Sukejuro attendait ; son adversaire allait changer de style. A lui de profiter de cette fenêtre pour l'affaiblir.
« Encore armé, coco?
Mais eh, ça fait pas si mal que ça, ces merdes, en fait!
Attends... J'ARRIVE! »
Grondant comme une furie, l'aspirante fonça sur son adversaire. Celui-ci continua à envoyer des étoiles dans sa direction, qu'elle bloqua comme elle pouvait avec ses avants bras. Sa peau fut éraflée, mais le cuir de ses vêtements offrirent une seconde fois l'essentiel de la protection nécessaire.
-Et là...
Une fois à portée, Oboro s'élança furieusement contre son adversaire. Elle avait complètement oublié les quelques postures que lui avait montré Nakutsu, l'intructrice de taijutsu. Elle qui était désespérément grande, plus grande que lui, probablement plus forte et au moins aussi lourde, chargea de tout son poids contre Sujekuro.
Il était temps de passer aux choses sérieuses. Attaquer, frapper, détruire. Elle allait l'exploser aussi violemment que possible, et en finir immédiatement.
-
... TU VAS VOIR!, vociféra la combattante.
La manoeuvre était hasarde, l'aspirante emportée par ses nerfs. Comprenant qu'il avait affaire à une attaquante particulièrement sanguine, l'autre tenta une feinte, avec succès. Il se décala hors de l'emprise de son adversaire, et lui saisi le bras, comme il avait apprit à le faire. Sa main agrippa naturellement le poignet de la jeune femme, tandis que, de l'autre, il enserra son pouce.
« Non. Ne fais pas ça. Non! »
-
NON!!!, beugla Oboro.
Comprenant avec horreur ce qu'il allait faire, l'autre se rua comme une bête en cage pour se dégager, en vain. D'un geste mille fois répété, Sukejuro arracha un hurlement de douleur à son adversaire en lui tordant le pouce, sans pour autant parvenir à le briser. Électrifiée par la douleur, Ashikaga plaqua sa main contre son torse. Un mécanisme purement défensif qui signalait un net repli de la jeune femme.
L'aspirant avait gagné quelques précieuses secondes, qui allaient lui servir à...
-
CON-NARD!! CHIERIE DE CHACAL!! ESPECE DE... @&€%$¤£#§µ¤&€%$¤£#@&€%$¤£#§§µ¤!!! Sukejuro essaya de se dégager, pas du tout rassuré par ce qui lui faisait face. De la main qu'il venait tout juste de traumatiser, la kunoichi tentait de lui saisir le col, l'autre déjà tendue pour lui asséner de violentes attaques. Lui bondit en arrière, cherchant à s'en dégager.
C'est à ce moment qu'il se rendit compte qu'il avait... horriblement mal.
Et le sang qui coulait de sa tempe...
Ses bras, ses côtes mordues par les projectiles acérés...
Il prit sa décision en un instant. Tout en maintenant son adversaire à l'écart, il leva un bras en l'air, indiquant clairement à l'arbitre qu'il souhaitait abandonner.
Mais, emportée par son élan, Oboro n'allait sûrement pas s'en arrêter là... pas immédiatement.
Emportée par sa propre charge, elle percuta Sukejuro, le renversant sur le coup. Loin de lui faire mal, elle tomba à la renverse avec lui, ses neurones connectant juste ce qu'il fallait de bon sens pour ne pas l'attaquer.
Le jeune homme gémit de douleur, écrasé par son adversaire qui avait tenté d'amortir sa chute coudes en avant. Sukejuro intercala rapidement ses bras entre lui et la kunoichi, incapable de savoir ce qu'elle allait faire.
A son grand soulagement, elle ne bougea pas. Aussi chercha-t-il immédiatement à lui assurer de ce qu'il en était.
-C'est fini. Fini. J'abandonne. On arrête les frais.
Oboro ne répondit pas. Elle comprenait, oui. Mais... pas vraiment. Elle ne voyait pas trop quoi répondre. Après le déchaînement qu'elle venait d'avoir, s'arrêter tout de suite lui semblait vraiment...
Puisqu'il avait abandonné, ça voulait dire qu'elle avait gagné. Donc que leur combat était terminé. Et qu'elle n'avait plus grand chose à faire ainsi, installée à califourchon sur lui avec les deux bras bien levés.
Tout doucement, elle se laissa aller sur le coté, assise les jambes repliées contre elle. Oboro ne bougea pas. Elle n'avait plus rien à faire, après tout. Sukejuro en profita pour se relever, et étudier de plus près son adversaire. Vue comme ça, elle n'avait plus l'air dangereuse. Plutôt perdue.
Aussi molle qu'un marshmallow, elle se laissa docilement faire par le jeune homme, qui lui tendit le bras pour la relever. D'un coup, l'effet tunnel s'estompa. Le public revint dans son champ de vision. Le combat. Le tournoi.
Elle avait gagné.
Elle avait... elle avait gagné?
-Attends, attends, attends'ttends'ttends. Quoi?
-...
-Pourquoi t'as abandonné?
-...
-Ben pourquoi? Je suis...
l'fin... m'enfin mais je bin bon... mais je suis... nulle? Novice? Ninja depuis trois semaines?L'aspirant la regarda étrangement. Il venait de perdre, il avait mal, et n'était pas du tout de bonne humeur. D'un autre coté, il savait par expérience que bien s'entendre avec un adversaire était une chance. A Konoha, les instructeurs s'efforçaient tous de transmettre un message à leurs élèves. Qui restait particulièrement vrai lors d'un tournoi en interne.
Un adversaire, c'est d'abord un partenaire.Et vu la tête qu'elle faisait, il décida de l'accepter comme telle.
-Pas si mauvaise que ce que tu as l'air de croire, visiblement, répondit-il finalement.
-... nan, j'ai pas dis que j'étais mauvaise, hésita Oboro.
-J'ai cru entendre "nulle", pourtant.
-Naaan, c'est pas ce que je voulais dire.A son tour, Oboro commença à étudier Sukejuro du regard. Forcément, elle s'arrêta sur la fine arête ensanglantée qui lui caressait le sourcil. L'aspirant s'en rendit compte, et profita du prétexte pour prendre congé d'elle. Il avait envie d'être seul un instant, et l'infirmerie était un endroit propice à ces moments privilégiés.
En le regardant s'éloigner paisiblement, l'Ashikaga ne savait plus trop quoi penser. Elle avait eu peur d'être blessée, mais son adversaire avait prit ça sans broncher. Il avait interrompu le combat avant d'en subir trop, certes, mais...
Mais...
« Oh, et puis merde.
Bien envie de voir la gueule de Hyûma après son match. »