Urara Matsui

Urara Matsui ne croyait pas à l'existence des dieux. A cet instant pourtant, elle les maudissait, eux, et tout ce que le genre humain avait pu inventer sur la surface du globe pour justifier son incompétence. Urara n’allait pas jusqu’à penser qu’on l’avait puni en lui confiant une telle mission, mais son raisonnement n’allait pas beaucoup plus loin pour autant. Intérieurement, elle fulminait. Fraîchement nommée chuunin, après de longues années de bons et loyaux services, Urara croyait enfin pouvoir apporter quelque chose au village. Ce quelque chose de grandiose que tous les shinobi doués d’une certaine conscience professionnelle espéraient un jour ou l’autre provoquer. Force était de constater qu’elle s’en était éloignée à l’instant même où sa promotion lui avait été communiquée. En s’enfonçant toujours plus loin dans la plaine, Urara retraça mentalement son parcours en quête du détail qui avait contraint les autorités à la choisir elle parmi tous les autres chuunin du village. A tout juste huit ans, elle intégrait le prestigieux cours du maître Hideyoshi Fujiwara, l’un des plus grands spécialistes de Kiri en matière de ninjutsu. A douze ans, elle réussissait sa première mission de rang C. A quatorze, elle tuait son premier homme. Le mois dernier, elle tentait sa première mission de rang B et en revenait triomphante un mois plus tard. Elle avait beau juger son parcours avec l’oeil le plus critique qui soit, elle ne voyait rien qui puisse justifier qu’on la nomme, elle, chef d’une équipe de repris de justice.

La plaine, comme elle aimait à l'appeler du fait qu'il s'agissait d'un terrain vague sans relief, accueillait des cellules perpétuellement plongées dans l’obscurité. Les conditions de vie n’y étaient pas déplorables pour peu qu'on s'habituât à ne pas goûter la lumière du jour pendant plusieurs mois. Il y avait bien ce rideau de lumière artificielle qui entrait à l’heure des repas pour accompagner le plateau de nourriture posé sur le sol, mais personne ne l’appréciait vraiment. Il vous aveuglait plus qu’autre chose. Urara ne pouvait pas concevoir que Kiri puisse y cacher quelque chose qui soit seulement capable de raisonner comme un être humain normal. Pour ce qu’elle en avait su avant sa promotion, la plaine était réservé aux criminels de premier ordre. Ceux sur lesquels le village souhaitait s’assurer un contrôle total. Depuis moins d’une heure maintenant, elle savait que ce n’était que la partie émergée de l’iceberg, que Kiri y dissimulait beaucoup d’autres secrets, sans doute pires encore que ce qu’on avait bien consenti à lui révéler dans le cadre de sa nouvelle affectation. Le dossier qu’elle tenait entre ses mains était une de ces parties obscures de l’histoire du village. La pièce d’un puzzle qu’elle ne pourrait jamais reconstituer faute d’autre pièce comparable à celle-ci pour recouper les informations. Au fond d’elle, l’appréhension commençait à atteindre des pics vertigineux.

Le dossier estampillé “ AT-654 ” était épais de trente pages. Les cinq premières étaient entièrement consacrées à un certain Munenori Tokugawa, chef du clan Tokugawa. Si on pouvait appeler “ clan ” une bande de sauvages que le daimyo s’était chargé de rayer de la carte. Les vingt-trois pages suivantes regroupaient toutes les informations récoltées par le clan Aisu au fil des mois de traques commandés par le daimyo. Des attaques subies aux offensives portées, tout était là, jusqu’au chapitre final du conflit: la destruction pure et simple du clan par une nuit d’automne sur l’île d’Ugawa. Le dossier trouvait cependant sa conclusion dans les deux dernières pages, sommaires au prime abord, mais concises dans le peu d’informations qu’elles avaient à révéler. C’était pour ces deux pages qu’Urara s’avançait parmi les hautes herbes jonchées de petites cabanes. Pour cette survivante que Kiri avait décidé d’utiliser à son avantage. Le dossier précisait un lieu de résidence : la cabane 54, dont la porte d’entrée se profilait à vu d’oeil.

Urara sortit la clé qu’on lui avait remise et la tourna dans la serrure. La porte révéla une pièce d’environ six mètres de profondeur, entièrement plongée dans l’obscurité hormis le tapis de lumière qui la divisait en deux jusqu’au mur du fond.

[Urara] – Anko Tokugawa ?

Un rire lui répondit du fond de la cellule en bois. Un rire glaçant par son timbre mutin. Une tête blonde fendit l’obscurité. Un visage d’ange à l’oeil gauche barré d’un pansement massif. Un oeil d’un bleu électrique pour réponse, et ce rire. Glaçant.

Anko Tokugawa



U.C