Torche à la main, il errait sans but à travers les couloirs des souterrains de la chapelle où il se retrouvait honteusement piégé par son grand-père. Coincé dans ce véritable dédale, il n'avait d'autre préoccupation que la lecture de quelques livres qu'il avait emporté avec lui en ces lieux qui, à force de relecture, devinrent aussi ternes et monotones que tous ceux qui lui avaient été proposés par les prêtes qui vivaient ici. Bien que très insuffisantes à son goût, les rares connaissances qu'il avait retenu dans cette place lui seraient très certainement bénéfiques tôt ou tard, seulement, il n'en comprenait pas encore la juste mesure. Les prêtres Hamanasus étaient les membres d'un clan qui s'était retranché il y a maintenant plus de trente ans dans la région. Terrés dans les environs de leur chapelle, ils vivaient coupés du restant du monde. Tout ce que son cher grand-père avait trouvé comme excuse pour l'abandonner dans cette forêt était qu'il devait apprendre à "survivre pour pouvoir vivre". Yaoke, qui manquait encore cruellement d'expérience, n'était pas encore capable de faire face aux terribles menaces que représentaient le monde extérieur.

Le grand-père du jeune homme voulait probablement lui apprendre quelque chose en l'enfermant ici, pensait ce dernier. Mais il était clair que cela n'allait pas être une partie de plaisir. Ce serait encore très certainement une nouvelle épreuve durant laquelle il devrait prouver à son ainé ce don il est capable, que ce soit au niveau de la traque d'indice, de réflexion personnelle et encore de survie. Enfin, il ne s'agissait pas là d'une véritable épreuve de survie où la vie du participant en dépend bien évidement. Mais plutôt d'une petite mise en scène où Yaoke est encadré de loin par son grand-père. Loin d'imaginer la finalité de ce test, le jeune garçon tout juste âgé de 10 ans allait très certainement errer encore un moment dans ce dédale à la recherche d'indices avant de pouvoir en trouver la sortie. Il ne fallait y voir aucune méchanceté de la part de l'ainé du petit Yaoke, seulement de la bienveillance. Son grand-père avait tout simplement décidé que son petit fils aurait, lorsqu'il serait plus âgé, la possibilité de choisir s'il souhaitait continuer de vivre à la Chapelle avec son clan ou découvrir le monde extérieur, et qu'il fallait donc l'y préparer avec les moyens dont-il disposait.

Après plusieurs heures d'errances et de masturbation cérébrale, le jeune Hamanasu parvint enfin à retrouver son chemin. Têtu comme une mule, il refusait souvent de suivre les indications laissées par son grand-père, un peu comme s'il cherchait à s'en venger en boycottant tout simplement son existence et ses legs durant les épreuves que ce dernier aimait tant lui faire subir. Pour réussir cette épreuve, il avait fait une carte du dédale sur une page dans un de ses livres. Il pensait qu'il pourrait ainsi s'en servir la prochaine fois que son grand-père lui jouerait un sale tour afin de sortir plus rapidement. Bien-sûr, jamais son très estimé ainé ne devrait être mis au courant de la supercherie, aussi il s'était amusé à dessiner un peu partout dans son carnet des esquisses très enfantines pour laisser penser à qui le lirait qu'il ne s'agissait-là que d'un livre de coloriage de petit garçon. Feindre l'incompétence et l'immaturité était déjà très marqué à l'époque dans son caractère. Car pour lui un adversaire qui sous-estime son opposant est un adversaire déjà écrasé, même si à l'époque cela se limitait à un sourire niais et un faux carnet de coloriage.

Le soleil brillait, le ciel était dégagé et la température était idéale. Le printemps avait enfin fait son apparition au pays du riz, changeant grandement les moines des affres d'un rude et long hiver qui les avait longtemps torturé sous le froid de ses larmes gelées. Les rigueurs de la morne saison étant passées, la Chapelle redevenait peu à peu un endroit où il faisait bon vivre. Le temps était parfait pour aller se promener dans les environs ou encore aller se reposer dans l'herbe. Yaoke avait enfin reçu l'autorisation de sortir de ce qu'il considérait comme une prison, mais que ses proches appellaient une maison, tant qu'il n'allait pas trop loin. Le jeune garçon, à présent âgé de 10 ans, n'avait pas souvent de temps pour lui. Son père le destinait à devenir le prochain chef du clan pour qu'il suive les traces de son grand-père et apporte honneur et respect à sa famille ; qu'il réussisse où il avait échoué le jour où tiendrait lieu l'épreuve qui opposerait tous les membres de la nouvelle génération et dont les résultats éliraient le nouveau chef du clan Hamanasu. C'est pour cela qu'il prenait très au sérieux son éducation.

Yaoke mettait un point d'honneur à toujours profiter au mieux de ses rares escapades. Cette fois cependant il disposait de plus de temps qu'à l'accoutumée. Sa récente réussite lors d'une épreuve de connaissance générale dans l'académie de la Chapelle lui avait permis de sauter une classe, et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé avec deux jours de liberté en attendant qu'un groupe d'étude ne lui soit assigné. Libéré de toutes ses obligations, il n'était plus obligé de se lever aux aurores, il n'était plus obligé d'avaler une poudre énergétique infecte préparé par sa mère dont les vertus étaient plus que douteuses, il n'était plus obligé de lutter en permanence contre la fatigue. Mais le plus important dans tout cela, c'était que pendant ces deux journées entières, il n'était plus obligé de rien faire. Son père et le conseil étant généralement trop occupés à jouer les politiciens castrateurs d'un microcosme bien trop conservateur, il pouvait profiter pleinement de cette courte mais brève liberté pour vaquer aux occupations qui lui plaisaient. Seulement, cette liberté l'avait malgré-lui confronté à un énorme problème : il n'avait presque jamais eu de temps à lui et n'avait donc pas pu développer le moindre intérêt et ce pour quoi que ce soit de particulier.

Se rendant compte que sa vie était aussi vide que la bouteille de saké d'un moine alcoolique, il s'est contenté, du moins pour le début de cette première journée, de rester assis à lire dans l'herbe, convaincu qu'il finirait par trouver quelque chose pour l'occuper. Ainsi, une fois installé sur ladite pelouse, il se mit à relire ses différents carnets dans lesquels il notait entre deux coloriages on ne peut plus grossiers des notes de ce qu'il avait jugé à quelque moment que ce soit utiles de se souvenir mais qu'il n'avait pas eu le temps sur le moment d'approfondir. Il se souvint alors d'un jour où son grand-père lui avait parlé de guerriers légendaires capables d'invoquer des créatures fantastiques. Cela lui avait paru à prime abord comme le pur élan de délire fantaisiste d'un vieux sénile, mais qui au yeux d'un petit garçon paraissait si réel.N'ayant aucune idée de comment parvenir à un tel miracle, il se mit à rêver du futur, d'un futur où il serait libérer de toute contrainte et où il pourrait parcourir le monde comme le font les guerriers légendaires des histoires de son grand père.

Assis paisiblement dans un petit fauteuil en cuir noir, Yaoke se laissait s'enfoncer lentement dans ce dernier, espérant secrètement pouvoir s'y engouffrer au point de disparaître. Le jeune homme essayait tant bien que mal de reprendre peu à peu sa respiration et d'atténuer la douleur qu'il éprouvait au niveau du ventre, mais rien n'y faisait. Une fois encore, son père s'était défoulé sur lui sans raison valable, prétextant qu'il était un fils indigne et qu'il ne faisait pas assez d'effort dans son travail. Pourtant, ce garçon, à présent âgé de 12 ans, était bien plus instruit que la moyenne des enfants de son âge et faisait tout ce qu'il pouvait pour plaire à ses parents. Depuis la mort du petit frère de Yaoke, le père de ce dernier donnait l'impression de totalement perdre pied. Déjà violent avec lui dans sa petite enfance, la disparition de Zomeru avait très largement accentué ce côté de la personnalité du géniteur du jeune garçon. Il n'était plus que l'exutoire de la brutalité de son père.

Le premier des trois livres que son père lui avait ordonné de lire avant la fin de la semaine possédait une couverture brune assez abimée, sur laquelle les mots étaient si vieux qu'ils étaient presque entièrement effacés. L'aspect vieillot de ce bouquin ne l'intéressa pas le moins du monde, et c'est ainsi que, confortablement installé dans son fauteuil, il se mit à commencer la lecture de ce qui fut un très long et très fastidieux roman. Cependant, on ne sait pas pourquoi, il éprouvait un certain intérêt à continuer cette lecture. Elle exerçait sur lui une sorte d'attirance étrange qui mêlait curieusement l'ennui à la passion. Tiraillé entre deux ces impressions que tout oppose, il dévorait littéralement les mots et les lettres, les pages entières et les chapitres. Sa soif de connaissance était alors intarissable, et ne se termina même pas lorsque, après plusieurs heures de lecture, il eut fini de terminer le premier bouquin.


Ce message qui avait été laissé par son grand-père dans son livre on ne sait trop comment lui fit l'effet d'une bombe. Allait-il réellement l'aider à fuir la chapelle ou n'était-ce qu'un piège que lui tendait son père pour vérifier ses véritables intentions et lui donner une nouvelle correction ? C'était trop beau pour être vrai mais il sedevait de tenter sa chance qui à souffrir encore un fois le lendemain. Et lorsque tout le monde dans la maisonnée fut couché, Yaoke se mit à préparer son sac dans lequel il mit toutes ses affaires. Déçu de n'avoir rien d'autre que deux ou trois habits et ses quelques livres de coloriages, il se rendit compte qu'il n'avait aucune raison d'hésiter : il devait partir et tirer un traît sur sa jeune vie passée. C'est ainsi qu'à l'aube du lendemain il sortit de la chapelle et rejoint son grand-père qui donnait l'impression de l'y attendre depuis des années, pour ensuite prendre la route de sa future maison qui n'était autre que l'ancien village de son ainé, Kumo.

Depuis cette époque, Yaoke a vécu bien d'autres périples et rencontré bien d'autres personnes, mais cette histoire là reste encore à écrire...