Debout dans la pénombre que dispensait les épais nuages, Ebiko s’efforçait de passer inaperçue aux yeux des rares passants. Elle fixait l’horizon, concentrée, évitant ainsi de croiser le regard des inconnus. Autour d’elle le village prenait forme. Certains bâtiments étaient achevés tandis que de nouveaux chantiers débutaient. Kumo grandissait.
Soudain une pluie fine et désagréable s’abattit sur elle. La tête rentrée dans les épaules, elle accéléra le pas. Les passants se précipitèrent à l’abri mais Ebiko ne pouvait les suivre. Elle n’avait d’autres choix que de poursuivre son chemin afin de se rendre au point de rendez-vous.

Il s’agissait de la première mission d’importance qu’elle allait accomplir. Mais ce n’était pas ce détail qu’elle appréhendait. Elle ne serait pas seule et allait devoir faire équipe avec d’autres shinobi qu’elle ne connaissait pas. La jeune femme n’était pas timide et ne craignait pas de ne pas s’intégrer mais redoutait plutôt de tomber sur des camarades originaux. C’était un fait connu que certains ninja étaient étranges et elle était persuadée que ceux-ci ne feraient pas exception. Elle imaginait déjà leurs apparences à peine humaines et les pouvoirs terribles qui seraient les leurs.

Malgré se habitudes, Ebiko était arrivée en avance. Elle ne voulait pas donner une mauvaise première impression. Après tout, les missions étaient son gagne-pain et si elle n’était pas efficace, on ne lui en confierait plus. Et elle ne pouvait s’imaginer vivre une vie sans argent. Elle scruta les alentours, tous ses sens en alerte. Rien. Seul le bruit de la pluie tambourinant le sol déjà humide brisait le silence ambiant. Elle s’abrita donc sous les branches d’un arbre en attendant l’arrivée de ses futurs compagnons. Soudain Ebiko sentit une présence dans son dos. Elle se retourna et aperçut un jeune homme aux cheveux blancs. Elle l’observa rapidement : son accoutrement, son apparence générale mais aussi et surtout son regard perçant témoignait de son appartenance à la classe des shinobi. Elle détourna ses yeux de la silhouette du jeune homme et lui fit un signe de la main, par politesse.
Peu de temps s’écoula lorsqu’une deuxième personne fit son apparition. Il s’agissait à nouveau d’un jeune homme. Immédiatement, elle nota qu’il ressemblait fortement à son ami Kagi. Elle ne put s’empêcher d’arrêter son regard sur lui. Il était d’une taille impressionnante et ses cheveux mal peignés étaient plus noirs que l’encre. Mais ce qui amusa le plus la jeune femme furent ses yeux qui, comme ceux de Kagi, communiquaient une espièglerie sans borne.
Ebiko remarqua qu’il l’observait également et elle se demanda ce qu’il pouvait bien penser. Elle lui adressa un sourire poli accompagné d’un signe de tête. Mais cela ne parut pas suffisant pour briser la glace et le jeune homme s’en alla aiguiser sa lame dans son coin. Un silence lourd de sens s’installa entre les trois inconnus.
Soudain la rumeur d’une dispute attira l’attention de Ebiko.

Voix 1 - ...nan mais déjà que j'ai perdu mes culottes en dentelle de Kokushin, si en plus je dois me trimballer dans un kimono de soie, je vais attraper des rougeurs, je le sais !

Voix 2 - Et maintenant tout le monde le sait.

Ebiko ne put réprimer un sourire moqueur alors que deux hommes apparurent. Le premier arborait une toilette coquette. Ses cheveux étaient peignés avec soin et une petite barbe entretenue dissimulait son menton. Pourtant ses vêtements étaient souillés au niveau de sa poitrine. D’une main maladroite il passa une main sur sa tunique dans l’espoir d’arranger les choses mais ne fit qu’étaler la saleté.
Le second ressemblait aux nombreux moines que Ebiko avait croiser au temple durant son enfance. Malgré un visage expressif et une aura bienveillante, il l’a mettait mal à l’aise et lui rappelait de trop douloureux souvenirs.

Takuan - Bonjour chers amis. Je m'appelle Takuan, et je ne porte pas de culotte en dentelle de Kokushin.

Ebiko esquissa de nouveau un sourire malicieux tandis que le sosie de Kagi entama sa présentation :

Mû - Moi, c'est Mû, je viens d'arriver au village. Je n'ai jamais fait de mission auparavant, mais je sais me servir de mon sabre. Et je vous préviens : je ne tolérerais aucun, et je dis bien aucun, jeu de mots avec mon nom.

Ebiko posa son regard sur les différentes personnes qui constituaient l’équipe qu’elle allait intégrer pour cette mission. Elle était plutôt surprise de l’hétérogénéité qui la composait, mais regrettait d’être l’unique femme du groupe. Un bref silence s’installa et elle réalisa qu’elle ne s’était pas présentée. D’une voix hasardeuse elle dit :

Ebiko - Bonjour, je suis Ebiko.

Le rouge au joues elle jeta un coup d’oeil vers le jeune homme aux cheveux blancs qui était encore enveloppé de mystère.

Ebiko observa attentivement les membres qui composaient l’équipe. Elle savait qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences. Et cela était particulièrement vrai lorsqu’il s’agissait de ninja. Ces personnes étaient toutes très différentes les unes des autres et bien qu’elle ne les connaissais absolument pas, elle se sentait liée à eux. Après tout, ils étaient tous des habitants de Kumo, comme elle.

Asahi - Enchanté. Je suis Asahi Toshiya. Tout comme Mû, je suis nouveau à Kumo.

Ce jeune homme était un Toshiya, tout comme son défunt mentor, Wataru. L’image du visage de son ami décédé apparut dans son esprit et ce ne fut que lorsque Asahi reprit la parole qu’elle se dissipa.

Asahi - Malheureusement moi non plus, je n'ai jamais eu ce privilège... Dit-il à l’encontre de Takuan.

Il se tourna ensuite vers l’ami de ce dernier et lui dit :

Asahi - Avant de connaître la couleur de vos sous-vêtements, pourrait-on avoir votre nom monseigneur de la dentelle tachée ?

Malgré la finesse de la plaisanterie, Ebiko n’esquissa pas l’ombre d’un sourire. Elle connaissais la valeur d’une telle étoffe et elle se sentit instantanément victime d’une injustice. Pendant que la misère régnait sur Kumo et ses habitants, civils ou shinobi, de rares privilégiés vivaient dans l’opulence. Le sens du sacrifice n’était pas quelque chose qui concernait l’élite. Elle passa doucement sa main sur son kimono élimé et jeta un regard glacé vers l’homme qui accompagnait Takuan. Elle le détailla avec précision. Son visage aux traits fins exprimait un certain dédain tandis que son long corps finement musclé trahissait une certaine faiblesse physique. Etait-il un shinobi ?
Lui non plus ne riait pas. Sans doute était-il vexé d’être la cible d’une plaisanterie qui mettait le doigt sur ses défauts avant même d’avoir eu l’occasion de se présenter.
Soudain, comme s’il avait senti le poids du regard de la jeune femme, il se tourna vers elle avant de lâcher d’un air contrarié :

Ieyasu - Je m’appelle Ieyasu Nagawa et j’aimerai que l’on parle d’autre chose. Vous ne savez pas ce que c’est d’avoir la peau sensible...

Asahi lâcha un rire cristallin, attirant instantanément l’attention de Ebiko.

Asahi - Vous êtes bien là pour la mission concernant Onitake ? Au cas où je me serais trompé dans le lieu de rendez-vous.

Ebiko hocha la tête sans dire un mot. Elle ne savait pas grand chose à propos de cette mission. Le parchemin qu’on lui avait donné n’était pas très explicite. Elle ne savait pas non plus à quoi s’attendre. Elle se contentait d'attendre les instructions de celui qui prendrait les commandes des événements à venir. Mais plusieurs questions demeuraient en suspend. Si cette mission nécessitait la présence d’autant de shinobi, n'était-elle pas de la plus haute importance? Et dans ce cas, pourquoi l’équipe n’était composée que de débutants ? Ebiko chassa ses pensées et se dit que tout ce qu'elle désirait, c’était son salaire.

Ieyasu - Bien sur que l’on est tous là pour ça. Bien que j’aimerai plus que tout être ailleurs en cet instant...

Il observa ses socques pleines de boue d'un air outré puis souffla de lassitude.
Décidément, cet individu exaspérait Ebiko au plus haut point. Il n’avait rien à faire dans cette équipe. Il était douillet et ne se préoccupait que de son confort et de son apparence. En situation de danger, il serait sans doute le premier à perdre la vie. La jeune femme leva les yeux au ciel en se disant qu’elle ne risquerait pas sa vie pour le tirer des mauvais pas dans lequel il ne manquerait pas de se fourrer.

Ieyasu - Bon, qu'est ce qu'on attend ?

A la plus grande surprise de Ebiko, le jeune homme venait de lui ôter les mots de la bouche.

Takuan - Vous avez raison, mettons nous au travail.


[justify]Le groupe entreprit d'abord de relire l'ordre de mission, et tous s'accordèrent bien vite à en conclure que les informations importantes n'y figuraient pas. Aussi, avant d'entammer toute sortie à la recherche d'Onitake, ils se chargèrent d'une première tâche de récolte d'éléments. A l'unanimité, quatre pistes paraissaient intéressantes à poursuivre. Il fallait avant tour voir le commanditaire, et lui en demander plus, beaucoup plus. En parallèle, récolter des histoires, des légendes, des rumeurs, tout ce qui pourrait parler d'un ou d'une Onitake seraient propices à les aider par la suite. Il fallait donc aller à l'auberge et discuter avec ses résidents, tenter également de parler aux moines du temple. S'il fait mention de démon, alors les Dieux ne devaient pas être bien loin non plus. Enfin, retourner au chateau et demander à l'administration un surplus de détails ne semblait pas de refus. Le temps passant bien trop vite à son goût, le Chuunin entreprit de répartir la tâche afin de gagner du temps. Une fois la recherche terminée, il était convenu de se retrouver ici. Ebiko se porta volontaire pour parler aux moines du temple. Asahi se proposa pour l'auberge, quand Mû irait au château. Ne restait que l'interrogatoire du commanditaire, pour lequel Takuan se chargerait de la besogne.

Ieyasu - Parfait, moi je vous attends là, je vais laver ma tunique à la rivière.

Takuan et Ebiko le foudroyèrent d'un regard réprobateur, mais il fit mine de rien et partit vers le ruisseau. Le Toshiya ne chercha pas plus loin et se contenta de ponctuer d'un haussement d'épaule. Le groupe se sépara vers ses objectifs respectifs. Le client avait été aperçu aux portes de la ville, qui était au bout du chemin proche du temple. Ebiko et Takuan firent donc quelques minutes de route tous les deux.

Takuan - Je n'ai pas pu m'empêcher de voir ta mine agacée il y a quelques instants. Ne t'inquière pas, Ieyasu n'est pas tout le temps comme ça.
Ebiko - Ce n'est pas ça...

Takuan - Je suis toute ouie dans ce cas.

Ebiko - Certains ne se rendent pas compte de leur chance.

Elle n'avait pas tort, cette demoiselle. Peu de gens connaissent leur chance. Beaucoup aspirent à mieux, sans remarquer que leur acquis est déjà incommensurable pour le commun des mortels.

Takuan - Tu sais, je connais Ieyasu depuis seulement quelques jours. Nous l'avons sauvé d'un duo de bandits qui en voulaient à sa vie. Je n'ai vu que peu de choses de sa personnalité, mais je sais déjà une partie de son histoire. Ces ennemis venaient sous l'ordre de sa famille, qui a tenté de se débarrasser de lui. Il a peut être vécu dans la richesse et l'insouciance, mais je pense que chacun cache en lui une part de souffrance.

Ebiko ne répondit pas. Le chemin bifurquant vers la sortie, la kunoichi en profita pour s'éclipser. Takuan lui fit un petit signe de main puis lui souhaita bonne chance dans sa recherche, accompagné de son éternel sourire bienveillant. Les choses sérieuses commenceraient aussi dans peu de temps.

[i]Comme prévu, le commanditaire se trouvait à quelques pas de la sortie du village. Une sorte d'ombre à la cape sombre et au long chapeau qui cachait un regard peu commode. Comme il ferait certainement dans le côté taciturne, Takuan prit les devants et se présenta comme le responsable de la mission qu'il avait commandé. Aucune réaction de sa part... S'il voulait jouer au têtu, il ne savait pas à qui il avait affaire. Impassible, le chuunin ne bougea pas d'un poil. Plusieurs minutes s'écoulèrent dans une sorte de bataille psychologique grotesque dont Takuan se serait bien passé. Cet homme voulait-il vraiment voir sa mission réussir ?

[Mystérieux] "Qu'est-ce que vous attendez ? Allez me chercher Onitake, abruti."

Takuan ne perdit pas une seconde, et prit la balle au bond : " Les abrutis sont plutôt ceux qui ne viennent pas chercher un maximum d'informations avant d'aider leur commenditaire, vous ne croyez pas ? "

En signe de protestation, l'inconnu baissa son chapeau.

[Mystérieux]" Qu'est-ce que vous voulez savoir ?"

" Que représente Onitake ? Devons nous chercher un homme, une femme, autre chose ? "

Même mouvement de gêne, comme s'il avait honte de quelque chose.

[Mystérieux]" Onitake... c'est une femme."

Bingo.

" Mais toutes les femmes sont des démons... Qu'a t-elle de spécial pour que vous la cherchiez ?"

[Mystérieux]" Vois n'avez pas besoin de le savoir. Je vous paie pour que vous la trouviez !"

La colère sortait de tous les pores de sa peau. Peu importe qui était Onitake, il en avait lourd sur la patate, et cette demoiselle semblait au coeur du ressentiment.

" Si je la cherche, j'ai besoin de savoir ce qu'elle a de différent des femmes que nous allons croiser. Chaque femme est démon à sa manière, chaque homme aussi. Aussi, à moins que je vous ramène toutes les femmes du pays une par une, il va falloir être plus précis"

[Mystérieux] " Elle est assez petite, plutôt jeune, les cheveux mi-long et bruns... Allez la chercher à Amagumo, c'est là-bas que je l'ai vue la derniere fois..."

On commençait enfin à avancer. Mais encore et toujours sur des oeufs.

" Merci pour ces précieux détails." Après un temps, il reprit " Cette femme répondra-t-elle au nom d'Onitake ? Ou sous un autre nom ? "

[Mystérieux]" Aucune idée, c'est le seul nom que je lui connaisse."

" Si ce n'est pas trop indiscret, que faisiez vous avec cette Onitake la dernière fois que vous l'avez vue ? Cela nous aiderait grandement pour savoir comment la retrouver "

[Mystérieux] " Vous n'avez pas à le savoir ! Et puis j'en ai assez de vos questions !"

Définitivement, cette affaire semblait louche. Takuan aurait pu mettre sa main au feu qu'il s'agisse d'une prostituée ou d'une amante cachée. Le point de non retour semblait atteint avec le client. Il se redressa, et s'en alla en direction de l'auberge. Takuan n'abandonna pas directement, toutefois. Il suivit le client, qui retrait à l'auberge. Il demanda une chambre, le chuunin sur ses talons, mais il ne semblait pas s'en soucier.

Aubergiste - A quel nom monsieur ?

" Etsu Geko"

Takuan n'en tira rien de plus. Il bloqua la porte au dernier moment dans une derniere tentative d'en apprendre plus, mais le commanditaire menaca de suspendre la mission, aussi n'insista-t-il pas plus. Au moins avait-il avancé d'un bon pas dans la compréhension de ce qu'ils devaient chercher. Sur le chemin du retour, il croisa Ebiko, mine dépitée.

Takuan - Laisse moi deviner, tu n'as rien trouvé.

Ebiko - En effet.

Takuan - C'est normal, tu vas vite comprendre pourquoi.

Ils rejoignirent le groupe afin de débriefer le tout.