[En provennce de la Bibliothèque]
Contre la pluie, le vent. Contre les intempéries kiréennes.
J'avais traversé le village de long en large, mon petit rouleau sur le bras. Ce qui m'avait laissé le temps de m'interroger sur les buts et les moyens. Les buts et les moyens d'une telle technique. Arrivé au petit terrain d'entraînement que je m'étais trouvé dans l'après midi, je m'aperçus que la nuit tombait. Une raison de plus pour profiter d'un entraînement intensif. La nuit, c'était du temps perdu. Enfin, pas tout le temps. Le terrain était calme et isolé. Un grand arbre couvrait le bord d'une des multiples rivières courrant sur les terres du pays de l'eau. Laissant tomber le rouleau à même le sol, je m'assis sur un rocher qui reposait non loin du tronc de cet arbre surprenant. L'ouvrant d'un geste rapide, je me plongeai rapidement dans sa lecture. La technique y était résumée dans ses points importants. Cependant, il restait une question fondamentale.
Comment m'entraîner à une telle technique?
Je ne pouvais pas l'appliquer à un végétal, car l'adaptation métabolique n'avait d'autre application que sur le médecin lui-même. Je n'aurai d'autre choix que de m'auto-mutiler. Mais j'en avais assez des automutilations. S'il fallait s'entrainer à cette technique, mieux vallait en profiter. J'allais prendre quelques minutes pour m'entraîner au maniement du katana, et il arriverait bien un moment où j'allais me blesser involontairement. Sortant Namida de son étui, accroché latéralement dans mon dos, je la levai dans la nuit. Les flammes lointaines de la ville rayonnaient sur sa lame froide. Bleue. Toutes ces petites lueurs réveillaient l'avidité de la lame. Elles lui donnaient goût à l'extérieur. Il fallait que je lui fasse goûter l'air plus souvent. La brandissant devant moi, je resentis un mélange de sentiements allant du ravissement à la soif de sang. Donnez une arme à un humain, et il perdra toute humanité. C'était la dure loi qui transparaissait à travers l'usage d'une arme, et cela, je l'avais compris depuis bien longtemps. C'est pour cela, en partie, que je me réjouissais. L'idée de perdre toute humanité était en soi révulsante. Mais elle poussait l'homme dans ses retranchements.
Coupe le vent.
La lame fusait dans l'obscurité nocturne. Je ne la maîtrisais pas parfaitement, mais avais acquis un maniement respectable, à l'aide de mon cher Kotaro...
*En souvenir de ces longues heures, camarade! *
Je n'avais plus peur de l'obscurité depuis. La lame courrait dans l'ombre, taillant de part et d'autre de mon corps tournoyant au gré de la brise. La puissance semblait parcourir mon bras. Le chant de la lame dans le vent sursurait à mes oreilles une poésie particulière, la plus belle qui soit. La poésie de la lame, qui semblait courir dans les plaines, voler avec les oiseaux, jouir d'une liberté totale, alors qu'elle était emprisonnée entre les mains de son utilisateur. En réalité, elle l'entraînait avec elle, dans les hauteurs du monde. Je contemplais le pays de l'eau, du ciel, tout en gardant les pieds sur terre, et la lame dans la main. Mon esprit naviguait d'un bout à l'autre de mon être.
La lame. Moi. La lame. Moi.
Dans un ballet incessant, il voguait, comme un vaillant esquif perdu en mer. Narguant les vagues, il les surmontait, pour ensuite les dominer. Comme un maître, il reignait sur la lame et sur tout ce qui l'entourait. Puis, un bruit de déchirure.
Tout ce qui commence doit avoir une fin. Le frêle esquif, bien que vaillant, finit par rencontrer un éceuil. Et, à son contact, il se brise. La goutte touche le pont du bateau. L'autre, quand à elle, chute sur le sol humide de ce petit coin tranquile. Invisible dans l'obscurité. J'avais mal dévié la lame, qui était venue entailler légèrement l'avant bras droit. Celui que je n'utilisais pas. Je pris le temps de rengainer de ma main indemne, puis jettai un oeil à la blessure. Rien que du superficiel. L'esprit n'avait pas poussé assez en avant. Il était temps d'endurer la douleur. Il était temps de passer à la pratique.
Saissisant le rouleau qui traînait non loin de là, je relus les premières étapes. Tout devrait être réalisé aujourd'hui. Enfin, ce soir. Un petit moment de concentration. M'efforçant de faire abstraction de mon fluide vital qui s'échappait douçement, comme une stalactite qui fondait. Goutte à goutte. Un, deux, trois. En suite. Prêt. Une pause, puis une autre.
Fermant les yeux, je visualisai la blessure, l'analysai. Tout était plutôt superficiel. Dosant la qantité de chakra qui serait nécéssaire à la régénération de la blessure, je me préparai à lancer la technique. Cependant, au dernier moment, j'en prélevai un peu. Il ne fallat pas la quantité exacte. Juste en dessous. L'adaptation métabolique, si j'arrivais à stimuler raisonnablement, comblerait le manque à gagner. Tout était prêt. La grande machine allait démarrer. J'impulsai le mouvement.
« Saisei. »
J'avais chuchotté ce mot, encore peu sûr des effets de cette technique. Tout allait se jouer là. Une fois, deux fois, et ça recommence. Le chakra se mit à couler dans mon corps, accourant, afin d'aider mon corps à résister à l'envahisseur. La zone était en pleine effervescence. Les cellules s'attellaient à la tâche, telles de petits ouvriers frénétiques. Tout se reconstruisait. Il était temps. Il était temps d'impulser le mouvement. Le moment était venu de tenter.
Quelques signes, afin de guider un nouvel escadron de chakra. Il se dirige vers la blessure, pénètre les cellules. Un peu de pouvoir, pour ces pauvres cellules. Leur espérance de vie est si courte, que c'en est effrayant. Elle arrive dans le monde humain, avec pour seule possibilité d'entretenir son réceptacle. L'humain est bien ingrat. Il se repose sur la vie d'une telle cellule. L'humain bâtit sa liberté sur des prisonniers. La cellule n'a pas de choix de vie. Elle vit, elle s'agite, puis elle meurt. L'humain, lui , suit une route rectiligne, qu'il peut violemment perturber. Il n'a pas de limites dans sa prétendue liberté.
Sauf quand il devient ninja.
Ainsi, il aprend à contrôler son corps, à diriger ces millions de prisonniers à la baguette, pour servir ses propres desseins. Mais les desseins d'un ninja n'ont, en théorie, plus rien à voir avec la liberté. Ils sont tenus en laisse par leurs maîtres, radioguidés. Manipulés. J'allais contrôler mon corps.
Le chakra était arrivé à la plaie. Un peu de puissance pour mes pauvres cellules déjà sur le déclin. Ce n'était somme toute que de la pitié. Enfin, le chakra pénétra les cellules, leur impulsant la puissance nécéssaire à une guérison plus rapide. Elle devait se compléter. Les cellules se mouvaient désormais plus vite. La plaie qui n'aurait dû se refermer qu'à moitié, ne laissa qu'une croûte rouge sur mon bras. Du sang séché, déjà, que je m'empressai d'aller nettoyer dans l'eau pure de Kiri. Il fallait recommencer une nouvelle fois, jusqu'à ce que la cicatrisation soit parfaite. Mais pas trop, juste un peu.
*Juste un peu. *
N'évite pas mais poursuis. Ces commandements m'avaient été inculqués dès mon plus jeune âge par mon Père. On ne devait pas fuir face au danger, l'accepter en son sein, jouer avec lui. L'homme devait savoir s'adapter au danger. L'acceuilir en souriant. Quelques heures passèrent. Une entaille. Un peu de sang, aussitôt absorbé par les entrailles voraces de mère Nature. Une disparition dans la nuit. Ensuite un murmure, calme, posé. Puis, pour achever, une dépense, une énergie qui irradiait dans mon bras. Un peu plus de fatigue. Une minute. Puis, un nouvel essai. Encore un, pour la seule raison que l'humain ne devait pas fuir face au danger. C'était bien le seul type de courage et d'honnêteté dont pouvait faire preuve une créature humaine.
J'ouvris les yeux. J'avais l'impression d'être immobilisé, comme cloué au sol par un poids bien trop important pour mes épaules. Mais toutefois, le soleil brillait. Il devait être midi. Je le laissai darder ses rayons sur mon visage fatigué. Je sortais d'une torpeur profonde. Un oiseau volait haut dans le ciel. Pour une fois, il faisait beau. Un signe de réussite?
Je tentai de me lever, et m'aperçus que mes bras étaient ankylosés. Les effets secondaires de cette adaptation métabolique, probablement. A retenir, de telles sensations. Après quelques minutes, j'arrivai enfin à me relever. Me dirigeant d'un pas chancelant vers le ruisseau, j'y plongeai mon visage. Sentant l'eau fraîche couler sur mon visage, je laissai échapper un soupir de soulagement. C'était fini pour aujourd'hui. Je ne rêvais que d'une chose: un bon bol de ramens, chauds et fumants. Le parfum m'enivrerait, et me redonnerait ma vigeur. Quittant le terrain d'entrainement, je marchai d'un pas souple et calme. Enfin, c'était fini.
Il pouvaient me regarde comme ils voulaient. J'avais atteint mon but. J'avais acceuilli le danger avec le sourire, et il s'était laissé adoucir...