Haya ne s’était jamais beaucoup intéressé aux illusions. C’était un monde qui l’intriguait, mais elle ne se sentait pas l’âme d’une grande manipulatrice. Elle avait certes pu observer Norikage, de temps à autre, faire cours. Cela ne lui donnait vraiment pas envie de se pencher davantage sur la question. Mais même les illusions basiques, celles que tous les shinobi connaissaient, comme la métamorphose par exemple, même ces illusions Haya ne les pratiquait pas. Elle avait une excuse toute trouvée : à quoi bon chercher à imiter le visage et les gestes de quelqu’un si, par sa propre incapacité à s’exprimer, on annule toutes ses chances de tromper les gens ? Il était évident qu’elle n’avait aucune chance d’abuser des sens de qui que ce soit, à la première question qu’on lui poserait, elle se retrouverait trahie par elle-même. Plutôt sordide.
Pourtant, Haya avait désormais pris la peine d’ouvrir un petit traité qui parlait de cette technique. C’était un peu vexant, mais il s’agissait très clairement d’un traité pour les enfants ou, en tout cas, les très jeunes ninja. A peine s’il n’y avait pas de grands dessins grossiers pour illustrer les signes à réaliser. Mais la jeune fille présuma que c’était tout ce qu’elle méritait pour se pencher sur cette technique aussi tardivement. Les gestes à réaliser (il n’y en avait qu’un) étaient simplistes, mais c’était sur la question du dosage de chakra qu’Haya se posait davantage de question. Il n’en fallait pas beaucoup, visiblement, ce qui était étonnant. Elle aurait pensé que prendre l’apparence de quelqu’un d’autre aurait prélevé plus sévèrement dans ses réserves. Cela devait être assez terrible pour les missions, ça. Se cacher des yeux des autres, les tromper sans qu’ils ne s’en rende compte et, un matin, disparaître sans laisser de traces. Il s’agissait d’une partie qui l’excitait et l’effrayait. Haya aurait bien aimé avoir une équipe, ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait cette réflexion. Avoir un professeur à qui elle pourrait faire part de ses doutes, et une équipe sur qui elle pouvait compter. C’était rassurant, pour un ninja, d’avoir une structure accessible autour de lui. Pour ne pas se sentir isolé. Haya était pressée d’exécuter des missions, mais elle voulait le faire avec des gens qu’elle appréciait. Pas des inconnus, si possible, pour qu’elle en apprenne beaucoup. Dans un premier temps du moins, quand elle sera plus âgée, et plus expérimentée, elle pourra sans aucun doute se fondre dans n’importe qu’elle unité. Cerner immédiatement les capacités de tel ou tel ninja, et calculer à partir de là les opportunités qui s’offraient à elle. Oui, c’était quelque chose d’intéressant.
Pour le moment, Haya avait une photographie de Shimuka devant elle. Elle avait planifié son après-midi selon deux exercices bien séparés : le premier, pour apprendre la base de la technique, était en intérieur. Avec une photographie. Cela serait utile pour certaines missions, quand il ne lui sera pas possible de s’approcher de la cible à imiter, mais qu’elle n’aura qu’une photo sur laquelle s’appuyait. Bien sûr, dans le cas de Shimuka, elle savait comment elle se déplaçait, comment elle parlait (à supposer qu’elle puisse imiter une voix dont elle ne se souvient qu’à travers des souvenirs, ce qui semblait délicat) et ses codes vestimentaires. Mais elle présumait qu’avant de copier les traits de quelqu’un, on étudiait cette personne, on amassait des renseignements pour comprendre sa personnalité et donner plus de vérités à son jeu. Du moins, c’est ainsi qu’elle procéderait, si elle devait le faire. Le second exercice serait exécuté dehors, dans la précipitation. Elle s’assurerait de reproduire des traits après les avoir observé un long moment ou reconstituer un visage aperçu quelques instants plus tôt. En mission, cela lui sera utile si, par exemple, elle allait rencontrer un ennemi au tournant d’une rue et qu’elle devait trouver un moyen rapide de le tromper. Autant que possible, elle supposait, un ninja ne devait pas chercher à tuer. C’était, après tout, un travail d’infiltration plus que d’action. Même si l’action rattrapait souvent tous les pans de leurs vies.
Ainsi, Haya transformait sa main en celle de Shimuka. Son amie était plus bronzée qu’elle, et, pour l’avoir vue de près, elle savait que le grain de leur peau n’était pas pareil. Cela ne devait sans doute pas être très pertinent, personne ne regarderait d’aussi près. Mais face à un œil exercé, ou bien face à un intime, ce sont des détails criants (plus qu’on ne l’imagine). Un jour, Mr.T leur avait fait une plaisanterie et s’était déguisé en Mie. Il était très bon, et c’était une Mie parfaite, mais il y avait un petit quelque chose qui ne collait pas. Rien de particulier, mais c’était une accumulation de détails, des défauts chez Mie, qui étaient là parfaits. C’était une métamorphose trop bonne pour être honnête, et Haya l’avait senti. Ou bien alors, c’était son esprit qui s’était persuadé qu’elle savait que Mr.T se fichait d’elles.
Pour le moment, elle avait la main de Shimuka. Les ongles vernis de rose, les doigts manucurés, une belle main qu’on aimait toucher, et un petit bras fin, doucement hâlé. Sans le vouloir, Haya se dit que c’était là un très bon moyen d’économiser du temps pour ne pas avoir à se faire belle, pour peu qu’on ait un peu de chakra à gâcher. Haya passa à l’autre bras, et là, les anomalies commencèrent à apparaître. C’était comme essayer de toucher les deux bords de deux toits opposés, les bras écartés et les jambes dans le vide. Un coup, elle récupérait son pouce à elle, un autre, le vernis disparaissait, puis la peau perdait de son hâle pour recouvrer le teint clair d’Haya. C’était une petite gymnastique de contrôle de chakra, gymnastique à laquelle s’était entraînée la jeune fille pendant des mois mais qui devait désormais s’adapter à une nouvelle technique.
La genin passa au reste du corps. Elle se tenait debout, après avoir punaisé la photo au mur. Bien concentrée face à elle, Haya détaillait chaque centimètre de la surface qui s’offrait à elle. Elle s’attaqua aux jambes. Shimuka était un petit peu plus grande, avec de longues jambes fuselées. La perspective, même de seulement dix centimètres de plus, était bien différente et donna un léger vertige à Haya. Comme cela devait être surprenant, de se transformer soudainement, sans préparation ! Elle copia la jupe que portait Shimuka sur la photographie, et s’attacha à chaque détail. L’ourlet dentelé, la légèreté du tissu, le coloris, l’ouverture sur le côté droit, et même la fermeture éclair qu’elle devinait au dos. C’était une belle jupe verte, sur laquelle Haya passa la main. Ce n’était pas une sensation normale. Mais elle y travaillerait quand elle aurait un peu plus d’expérience, pour le moment elle devait se contenter de cette étrange sentiment de picotement et de mou. Elle se souvenait du jour où elles avaient pris cette photo. C’était près de la plage, sur l’un des nombreux ponts. Il y avait une sorte d’arbre, qui poussait directement dans l’eau, et s’était surprenant parce qu’elles s’étaient demandé comment il pouvait vivre avec de l’eau salée et du sable pour terreau. Mais c’était un beau végétal, un peu tropical, qui laissait rêveur. Elle ne savait plus ce qu’elle faisaient ce jour-là, mais le soleil brillait et il faisait vraiment beau. Haya, puis Shimuka, avaient tour à tour pris la pose devant l’arbre, et la journée s’était écoulée ainsi, à travers toute la plage puis toute la partie sud de Kiri.
Haya passa ensuite au reste du corps. Dans un miroir, juste sous la photo, elle voyait et évaluait la qualité de la transformation. Ce n’était pas si mal. Shimuka avait la même taille qu’elle, mais une poitrine légèrement plus grosse. Elle reproduit le haut que portait la jeune fille, mais ne s’intéressa pas à la forme de son nombril ; il ne fallait pas pousser non plus. Le chakra s’écoulait lentement, Haya sentait que c’était ainsi que cela devait se passer. Pas trop, ni trop peu, de peur de créer des anomalies.
Copier le visage de Shimuka fut le plus éprouvant.
Le nez ne lui convenait pas, et elle n’arrivait pas à saisir le profil de son amie. Elle n’arrivait pas non plus à simplement se souvenir de la taille ou de la forme de son nez. Ce n’était pas vraiment là que se portait naturellement son attention. La couleur des yeux également, était difficile à saisir. C’était un beau vert, un vert sans teinte particulière, un peu brun, un peu gris, tout ça à la fois. Le résultat n’était pas parfait. En revanche, la forme des joues et les cheveux étaient bien reproduis. La longueur et même le toucher n’étaient pas mauvais du tout.
Haya sourit à elle-même. C’était doux, d’être quelqu’un d’autre pour quelques instants. Une personne en bonne santé, joyeuse, belle même, qui ne se posait pas de questions.
La jeune fille redevint elle-même. Il était temps de passer à la seconde partie de l’exercice, aussi descendit-elle dans la rue, au milieu de tous ces visages qui n’attendaient qu’à être copiés pour exister encore une fois.
Par curiosité, elle se prit à étudier un homme. A quoi cela ressemblait-il, d’être un homme ? C’était une vraie question. Si imaginer les gestes d’une femme était relativement aisée, imaginer être un homme était davantage délicat. Sans parler des notions de poids, de puissance musculaire, de raisonnements ou bien… eh bien, les histoires de tuyauteries, même si elle espérait ne jamais avoir à maintenir illusion aussi loin dans les faits. Haya se posa sur un banc, et s’attarda à étudier les comportements autour d’elle. Une bonne observation mènera à une bonne interprétation. Les hommes n’étaient pas bien différents ; il se déplaçaient différemment, pour la plupart, plus lourdement, de façon plus franche, quand ils étaient immobiles, ils ne savaient pas bien quoi faire de leurs mains et de leur bras, ou comment se tenir. Leurs attributs particuliers n’étaient pas excessivement mis en avance, sauf chez certains qui, de toute évidence, se sentaient irrésistibles. Il serait intéressant d’étudier différents types d’hommes. Les grands séducteurs, les froids, les fous, les sans affiliations. Pour savoir où mettre les pieds. En vérité, c’était un art beaucoup plus complexe que ne l’imaginait Haya avant de commencer. A coup sûr, elle regardera les illusionnistes autrement à partir d’aujourd’hui. Beaucoup de choses à emmagasiner, en plus d’une après-midi assurément, des années d’études, d’analyses, d’observations pour saisir au plus près la réalité. Haya finir par se lever, et grava dans sa tête un homme en particulier. Elle saisit tout ce qu’elle put de lui, et partit s’isoler dans un coin. Elle se transforma, cela lui prit cinq bonnes minutes avant de se sentir prête à quitter son abri. La jeune fille regrettait une nouvelle fois de ne pas avoir d’yeux qui pourraient l’aiguiller et lui épargner le fait de se jeter ainsi dans la rue.
Elle fit un premier pas hésitant, puis pris du courage en voyant que personne ne se retournait sur son passage. Son visage devait être celui d’un être humain, pas celui d’un être hybride et monstrueux devant lequel les enfants promettraient à leurs parents de manger leur soupe ce soir. Tant mieux. Mais Haya ne se sentait pas à son aise. Son pas était lourd, pas très masculin, du moins c’est ce qui lui semblait. Elle ne se dandinait pas, mais elle s’imaginait qu’un homme devait être plus assuré que ça, un adulte qui a une vie bien dessinée, peut-être un travail important. Il devait porter cela sur lui, non ? …
Haya retrouva son visage normal, et se posa sur un banc. Cela n’était pas si mauvais pour aujourd’hui. Elle maîtrisait ce qu’elle avait besoin de maîtriser. Dans le courant de la semaine, il lui faudrait s’intéresser à d’autres choses. A peine plus poussées.