Yu était une région plus basse, plus creuse, que ses voisines, si bien que la température y était agréable, dans tout le pays, même dans les mois d'hiver. Majoritairement chauffé en sous-sol par des sources thermales, l'été pouvait même devenir désagréablement humide, surtout en forêt, car les vapeurs des différentes failles s'aggloméraient sous le couvert des feuillages ; en hiver, c'était plutôt un brouillard, allant d'un nuage assez éparse à une poix épaisse, qui accompagnait les randonneurs. Murasaki, emmitouflé dans sa cape et ses bandages, suffoquait presque. Trempé par l'exercice, cela faisait plusieurs jours que le pauvre voyageait. C'étant résigné à ne dormir que très peu et mangé lorsque l'occasion se présentait, sans le sous — comme l'étai, d'ailleurs, son organisation — voilà un peu la raison de sa visite dans le pays des sources chaudes : l'argent. Depuis l'événement du soleil couchant, bien des choses avaient changés dans le monde. Il était maintenant aisé de trouver un travail, pour peu qu'on s'y connaisse dans les compétences demandées, suite à la catastrophe qui avait mis à genoux les peuples. Si Murasaki, même au nom de l'Asahi, avait jusqu'alors fait fi de la plupart des demandes, préférant chasser les camps de bandits installés un peu partout autour du QG (il racontait que c'était pour la sécurité, mais tous le monde savait que c'était plutôt pour passer son ennui), la rumeur d'un ermite l'avait charmé. Traque à l'intrus, bonne paye à la clef ; les raisons étaient suffisantes pour voir du pays et justifier son départ (mais tout le monde savait que c'était pour apaiser son ennui).
Ainsi, Murasaki se trouvait là. À une demi-journée de marche du petit village de Yasakura brisé par les flammes, il s'était enfoncé dans les bois avec des indications précaires. Sur son passage, il avait demandé pourtant où se trouvait celui qui gardait la forêt. Où résidait-il. Peut-être dû à son apparat sinistre, on ne lui avait répondu que fortuitement, comme si on voulait l'y perdre. Pas plus fin, Murasaki s'était contenté de ces maigres informations continuer sa route, et tel était l'idiot.
Les deux-trois paysans que l'ex-samurai avait questionné d'un ton rugueux, lui avait indiqué de s'enfoncer sur une centaine de pas dans la forêt puis de patienter. L'ermite qui y vivait finirait par le trouver. C'est ce qu'avait donc fait le combattant, avant de comprendre qu'on s'était peut-être joué de lui. La colère montant, il avait rebroussé chemin, mais deux centaines de pas sur le chemin du retour, il n'avait toujours pas atteint l'orée de la forêt. Ne comprenant alors pas qu'il valait mieux pour lui de patienter là où il se trouvait, Murasaki s'était borné à trouver la sortie et s'était enfoncé encore plus loin, tournant finalement en rond. La nuit tomba et le pauvre arrêta enfin son exploration sur un rocher, épuisé et affamé. C'était l'air maussade qu'il grugeait ses bandages, ressassant les enseignements de son vieux maître.
Patience avait souvent été le mot préféré de Goro, ce maître samurai qui lui avait enseigné la voie du sabre — ou du moins, ce que Murasaki avait décidé d'apprendre. À tord, le vieil homme avait tenté de canaliser la rage du jeune garçon pour la transformer en force. Il avait évidemment échoué, puisqu'aujourd'hui, son élève n'avait qu'un seul souhait : afficher comme trophée la tête de Goro. La cicatrice qui barrait le torse de Murasaki horizontalement se mit à lui chauffer lorsqu'il lui remémora le dernier enseignement que son maître avait bien daigné lui apprendre et qui se résumait en un mot : expérience. Mais pour le jeune homme, ce mot rimait surtout avec vengeance.
Ressasser les mauvais souvenirs fit monter en Murasaki une rage soudaine et il se leva promptement. Aussitôt, la sensation grisante de
l'énergie rouge s'écoula dans ses bras et il tourna sa rage contre l'écorce d'un arbre. Les branches les plus basses furent ses premières victimes, alors que d'un ample mouvement, il les cassait toutes. Puis ses doigts s'enfoncèrent dans le bois et il arracha en segment l'écorce comme grifferait un ours l'arbre sur son territoire. La suite ne fut qu'un flot mêlé de coups approximatifs, réduisant les cris du guerrier en un écho féroce.
Une fois la colère dissipé, exténué, Murasaki, au travers des branchages, reconnu la silhouette d'une cabane. Il voyait encore un peu flou, suite à son excès de rage, mais ses pas parvinrent à tituber jusqu'à la petite clôture qui entourait le potager jouxtant la demeure principale. Ses genoux eux s'y accrochèrent et le pauvre homme passa au-dessus, s'affalant de tout son long dans la terre meuble d'un plan de tomate. Il ne put que pousser un cri, avant de lentement s'endormir...
* * *
Ce fut la voix grinçante de l'ermite qui le réveilla.
«
Vous comptez dormir encore longtemps où tenterez-vous de m'expliquer les raisons de votre saccage ? »
Murasaki papillonna des paupières et déglutit beaucoup afin de perdre ce goût froid et pâteux de la terre. Il prit un moment avant de se situer, et la tête encore lourde de fatigue, il parvint finalement à se hisser aux bouts de ses bras. Au passage, il écrasa une tomate de la paume et le bruit du fruit éclatant, ainsi que l'humide sensation de succion, le fit plisser du nez.
«
Je suis où, moi ? »
Ne se sentant aucunement menacé, le combattant s'assit sur ses talons, détruisant un peu plus la clôture, et balaya du regard les environs. Il reconnut la cabane — aujourd'hui maisonnette — qu'il avait aperçut la veille et... ah oui, l'arbre massacré également. Puis il porta son regard sur la femme qui se dressait devant lui.
«
C'est vous l'ermite ? »
Elle ne broncha pas, et lorsque Murasaki tenta de se relever, elle le repoussa du pied. Le pauvre homme roula sur le dos, comme la tortue prise au dépourvue.
«
Hey ! Bordel ! Saleté ! Je suis là parce que tu m'as demandé hein ! »
«
Je n'ai sûrement pas demandé d'un être grossier comme vous veniez saccager ma forêt et détruire mes plans de tomates. »
Un mal de crâne terrible prenait Murasaki à l'instant et il ne put d'acquiescer d'un grognement.
«
Je doute que vous pourrez m'aidez alors... »
Murasaki se redressa d'un bond, soudain pris d'une énergie nouvelle. Son masque était tombé et dévoilait un grand rictus, tandis que sa voix sautait sous la nervosité de ses dires.
«
Je suis là pour le gars à éliminer, et pour la paye. Je crois que tu te trompes sur le genre d'individus que tu pourras attirer avec ton annonce... Surtout que tu veux sa tête... »
Un long ricanement suivi ses propos.
Étape 1 - Terminée