Devoir ou désir

Assis dans la véranda de la maison familiale, Teruo observait le jardin où le printemps réveillait doucement ce que l’hiver avait endormi. L’herbe fraîchement coupée était délimitée par de petites pierres blanches sur lesquelles poussait une mousse verte. Un sentier de dalles serpentait entre les azalées et menait à un petit sanctuaire dédié aux ancêtres de la famille Fujii.
Dans l’air, très haut, un hibou solitaire planait à la faveur d’un courant d’air ascendant, s’élevant puis redescendant, ses grandes ailes déployées immobiles, tandis que ses yeux perçants balayaient le terrain dans l’espoir d’apercevoir quelque créature mourante. Teruo s’avança dans le jardin, leva les yeux au ciel et observa l’oiseau qui amorçait une glissade de côté en poussant un cri dépité. Finalement, il s’en alla vers des lieux plus profitables.
Comme l’oiseau, Teruo Fujii était un solitaire. Tous les jours il avait besoin de sa dose de calme et de sérénité. Il pouvait ainsi organiser ses pensées et décider des choses importantes.

Après avoir sondé l’horizon de son regard perpétuellement abattu, il baissa les yeux et fixa le bandeau qu’il tenait dans sa main frémissante. Le symbole de Konoha y était peint.
Comme tous les symboles, celui-ci était plein de sens. Il indiquait que son porteur était un shinobi qui avait prêté allégeance envers le village et ses habitants. Mais tout ce que Teruo voyait c’était la liberté qu’il sacrifiait et le destin tragique et tout tracé qui se dessinait devant lui. Il était tiraillé entre son devoir et ses désirs. Comme ses pensées commençaient à s’assombrir, il ressentit au plus profond de lui le besoin incommensurable de s’échapper, mais hésitait à le faire.

« Le dîner est prêt. » Annonça une voix féminine émergeant de la maison.

Teruo avait le choix. Entrerait-il dîner avec sa famille comme l’exigeait l’étiquette ou allait-il ignorer l’appel de sa mère, écouter son instinct et fuir la pression qui le faisait souffrir ?
Il pencha pour la décision qui nécessitait le plus de courage. Il traversa le jardin puis sauta par dessus le muret qui le délimitait. Il sillonna le village en direction du sud sans croiser personne et grimpa à grandes enjambées une des nombreuses collines qui entouraient le Parc Seibutsu. A cette altitude, le vent soufflait légèrement plus fort et l’air était ostensiblement plus frais. Konoha semblait plus petit, plus inoffensif aussi.
A la recherche de quiétude, Teruo ferma les yeux et inspira profondément. Au bout de quelques secondes, son pouls ralentit et le tremblement qui agitait ses mains s’apaisa. Il sentit toute l’angoisse accumulée depuis des jours, voir des semaines, se dissiper.
Après quelques secondes, il ouvrit les yeux et remarqua qu’il n’était pas aussi seul qu’il le pensait. Une frêle silhouette se tenait non-loin, dissimulée dans l’ombre de l’érable contre lequel elle était adossée. En silence, il s’en approcha. Il put alors constater qu’il s’agissait d’une fille. Elle avait des cheveux bleus étonnants noués au sommet du crâne et portait un kimono rose à la ceinture orange. Mais ce fut son air perdu et mélancolique qui charma le jeune homme qui reconnut en elle un peu de sa propre personnalité. D’ordinaire timide et effarouché, il prit son courage à deux mains afin d’entrer en contact avec cette inconnue qui, semblait-il, partageait sa personnalité taciturne.

« Salut. » Murmura-t-il afin de ne pas l’effrayer.

Assise sur les hauteurs, l’adolescente mis sa main en visière et observa le panorama. Konoha.
Le village était modeste, presque insignifiant mais sa situation géographique privilégiée permettait de lui prédire un avenir flamboyant. Il était traversé par deux axes commerciaux importants qui zigzaguaient entre les collines environnantes.
Il était aussi magnifique. La lune qui brillait ardemment, illuminait vigoureusement les arbres en fleurs du Parc Seibutsu et se reflétait en myriades de diamants sur les pavés des routes.
A l’est, Ogen contempla la forêt d’Oba, dense et sauvage. Elle se promit d’en faire l’exploration à l’occasion.

C’était le deuxième jour qu’elle passait à Konoha. Durant le premier, elle n’avait été qu’une voyageuse clandestine. Dorénavant, elle était un ninja aux services du Daimyo du Feu. La belle affaire ! Elle ne perdait pas de vue sa quête, la raison qui l’avait amenée ici : retrouver son père. Elle avait passé sa journée à glaner des informations ici et là, sans succès. Elle ne possédait que très peu de renseignements, aucuns en réalité. Elle avait basé l’essentiel de ses espoirs sur une discussion avec un vendeur de brochette d’anguille grillée de Tanzaku. En y pensant, elle ne put empêcher un sourire ironique de surgir sur son visage.

« Salut. »

Ogen fit volte-face en sursautant et en hurlant de terreur.

« Vous m’avez fait peur. Rouspéta-t-elle l’air courroucé. Qui êtes vous ? »

Ses yeux se posèrent sur un grand jeune homme plutôt maigrelet et pâlichon d’une vingtaine d’années. Il était enveloppé dans un kimono noir, ce qui mettait encore plus en valeur la finesse de sa silhouette. De folles mèches d’ébène dévoraient son visage aux traits délicats qu’une expression d’extrême fatigue ne quittait pas. Malgré son aspect négligé, Ogen fut immédiatement envoûtée par l’étrange charme qu’il dégageait. Sans doute était-ce dut à l’air faussement tourmenté qu’il se donnait.

« Désolé. Teruo Fujii. » Dit le jeune homme en se frottant le crâne d’une main et en tendant l’autre vers l’adolescente.

« Ogen Seishuu. » Finit-elle par lâcher en lui serrant la main énergiquement.

« Tu es une kunoichi ? » L’interrogea Teruo en cherchant, en vain, un indice qui trahirait sa fonction sur ses vêtements ou sa physionomie. Elle était tellement petite et menue qu’il n’aurait pas été surpris d’apprendre qu’elle ne mangeait pas à sa faim. Son aspect n’était définitivement pas celui d’une kunoichi.

« Hein ? Oh oui. Mais c’est très récent à vrai dire. Avoua-t-elle. Et toi, tu es un shinobi ? »

Teruo désigna le bandeau qui sciait son front.

« Qu’elle est ta spécialité ? »

« Je prépares une soupe de râmen aux champignons à se damner et je dois dire que j’embrasse pas trop mal ! » Déclara-t-elle fièrement en bombant la poitrine.

« Je voulais dire en combat... » Souffla Teruo l’air dépité.

Le visage de Ogen se tordit en une grimace qui signifiait qu’elle mettait à contribution l’ensemble de ses capacités de réflexions. Elle n’avait jamais eu à se battre. Bien sûr elle avait déjà participé à des bagarres avec ses demi-frères, mais ils n’étaient que des enfants dépourvus du moindre muscle. Ne sachant que répondre, elle haussa les épaules.

« Qu’elle est la tienne ? » Lança-t-elle d’avantage pour la forme que par intérêt.

« Le Taijutsu. Devant le manque de réaction de son interlocutrice, il poursuivit. C’est l’art du corps à corps, je le pratique depuis... »

« Aurais-tu croisé un homme aux cheveux semblables aux miens qui répondrait au nom de Dan Seishuu ? » Le coupa-t-elle en posant une main amicale sur son épaule.

« Non. »

« Je vois. » Fit-elle déçue en reculant d’un pas.

Teruo ouvrit la bouche, s’apprêtant à dire quelque chose mais le regard triste de Ogen l’en dissuada.

Sans échanger un mot, Teruo et Ogen se dirigèrent, côtes à côtes, vers le village. Après quelques centaines de mètres, ils aboutirent aux portes du Parc Seibutsu qui était éclairé par d’innombrables lampions suspendus aux branches des arbres. L’effluve entêtante du pollen embaumait l’air. Alors qu'une brise parfumée fouetta son visage, l’adolescente éternua.
Teruo observait tour à tour Ogen et la nature environnante. Une rangée de cèdres feuillus se dressait fièrement sur sa gauche tandis que d’innombrables bambous se tenaient, inflexibles, sur sa droite.
Il hésita longuement mais se décida à poser la question qui brûlait ses lèvres.

« Qui est cet homme que tu cherches ? Quelqu’un de ta famille ? »

« Mon père. » Répondit-elle en hochant la tête.

Ogen plongea ses yeux dans ceux de Teruo. Elle y dénicha de la compassion et de la sympathie. Elle en fut émue et décida de s'intéresser à lui pour lui rendre la pareille.

« Tu as de la famille ? » Demanda-t-elle d’une voix aiguë.

« Oui. » Lâcha-t-il avant de se murer dans un silence absolu.

« C’est ce qu’on appelle être concis ! » S’étonna l’adolescente qui lui jetait un coup d’oeil inquiet en soufflant.

« Je vis avec mon père, ma mère, ma sœur et mes deux petits frères. Dit-il en faisant le décompte sur ses doigts. Ma famille était au service du Daimyo bien avant la construction de Konoha. »

Ogen et Teruo bifurquèrent vers l’est et s'avancèrent sur un pont qui surmontait un petit cours d’eau. Le bruit de leurs sandales sur les lattes de bois de la passerelle résonna dans l’obscurité nocturne.
Ils s’accoudèrent tout les deux sur la rambarde et plongèrent leurs regards dans l’eau limpide qui coulait sous eux. De multiples petits poissons colorés grouillaient sous les nénuphars éclos.

« Ça fait beaucoup de monde. Pour ma part, j’ai deux frères mais on ne s’entend pas très bien. C’est sans doute parce qu’on a pas le même père. »

Elle s’empara d’un cailloux et le jeta dans le ruisseau, faisant fuir les alevins. Des centaines de ronds se formèrent dans l’eau puis se dissipèrent aussitôt.

« Ils vivent ici ? » Demanda Teruo en posant sa main sur la poignée du katana suspendu à sa ceinture.

« Non. Je suis venue seule du Pays du Thé pour trouver mon père. J’avais réussi à retrouver sa piste mais elle s’est évanouie ici, à Konoha. »

« Tu viens du Pays du Thé ? Comment est-ce là bas ? » Interrogea Teruo dont le regard s’illumina soudainement.

Le jeune Fujii avait toujours vécu au Pays du Feu et n’avait jamais eu l’occasion de voyager hors de ses frontières. Il rêvait de périples à l’autre bout du monde, de pèlerinages sur les plus hauts sommets et de croisières sans fin sur les mers les plus agitées. Souvent, son père lui racontait ses propres exploits en ces terres éloignées et exotiques. Teruo s’en était fait une image tellement fantastique qu’il attendait avec une impatience non feinte la réponse de Ogen.
Cette dernière tourna son visage vers lui et haussa les épaules.

« C’est vallonné et ça empeste le thé. Affirma-t-elle en se pinçant le nez. D’ailleurs je crois que j’ai emmené cette satanée odeur avec moi. » Continua l’adolescente en reniflant sa queue de cheval.

Le visage de Teruo se fendit d’un sourire attendri. Cette fille n’était décidément pas banale.
Soudain, le scintillement des étoiles le ramena à la réalité. Il était tard. Il avait déguerpi de la maison, ses parents devaient être morts d’inquiétude. Il lui fallait rentrer immédiatement s'il ne voulait pas se prendre une rouste par son père.

« Je dois y aller. » Dit-il en détalant. Merci. »

« Merci pour quoi ? » Cria Ogen à son encontre.

Mais Teruo était déjà loin. Sa silhouette s’était fondue dans l’obscurité de la nuit.

Le Parc Seibutsu était le poumon du village. Son agencement frôlait la perfection et certains parlaient même d’art en voyant son esthétique et l’harmonie qui y régnait. Mais la nuit tombée, la nature reprenait ses droits sur ces hectares de verdures. Ce qui était la quintessence de la beauté dans la lumière, devenait hostile et effrayant enveloppé dans les ténèbres.
Immobile, sur la branche tortueuse d’un arbre, une chouette hulula. Ses grands yeux ronds brillaient dans l’obscurité et l’on aurait cru le regard d’un esprit vengeur.
Ogen jeta un regard inquiet alentour. Elle ne se sentait pas en sécurité seule en ces lieux. Des scénarios tous plus sanglants les uns que les autres défilèrent dans son esprit. A l’idée de finir dévorée par une horde de rats, un frisson parcourue l’ensemble de son corps.

L’adolescente s’avança sur le chemin qui menait vers la sortie du parc. Au fur et à mesure qu’elle progressait, la cadence de ses pas s'accélérait. Mais elle était ralentie par les perpétuels regards angoissés qu’elle jetait derrière elle.
Soudain, elle stoppa sa course. Cet arbre lui semblait familier, ce pont également. Elle réalisa qu’elle n’avait fait que tourner en rond. Elle se retrouvait à son point de départ. Mais quelque chose avait changé. Une masse sombre se mouvait sous la passerelle.

« Qui est là ? » Hurla-t-elle.

« Eh ! Tu m’as réveillé fillette ! »

La masse était en réalité un homme enroulé dans une couverture.

« Pardonnez-moi. » Murmura Ogen en jetant un coup d’oeil curieux vers l’inconnu.

C’était un petit et squelettique vieillard. Ses cheveux gris étaient sales et mal peignés et une longue barbe jaunie garnissait son visage creux. Une odeur âcre, un mélange d’urine et de sueur, se dégageait de l’espace qu’il occupait.

« C'est rien. Qu’est ce que tu fais ici à une heure pareille ? » Dit-il en se levant alors qu’une toux grasse et visiblement douloureuse agitait ses épaules.

« Je n’ai pas d’endroit où dormir. » Avoua-t-elle en baissant les yeux.

« Un brin de fille comme toi ne devrait pas se retrouver à la rue. J’ai un peu de place pour toi si tu veux. » Proposa le vieux en désignant son campement sommaire.

L’adolescente simula l’hésitation.

« Euh, c’est très gentil mais je ne pense pas. »

« A toi de voir ma jolie. »

Le vieillard s’allongea, remonta sa couverture jusqu’à son menton puis se tourna et s’endormit aussitôt.
Ogen jeta un dernier coup d’oeil compatissant vers le vieil homme et tourna les talons. Elle redoutait de finir de la même manière. Mais elle était consciente des risques depuis son départ du Pays du Thé. Rien ne garantissait un aboutissement heureux de sa quête.
Mais pour l’heure, ce qui la préoccupait le plus, c’était l’endroit où elle passerait la nuit. Bien sur, durant son périple qui l’avait amené jusqu’ici, elle avait passé plusieurs nuits à camper sur le bord des routes ou à l’orée d’une clairière. Mais cette fois c’était différent. Elle se trouvait au cœur d’un village et ne pouvait s’empêcher de se considérer comme une va-nu-pieds.
Elle déambula dans le parc à la recherche d’un abris décent. Au fil de sa promenade nocturne, elle tomba sur un sanctuaire dédié à une quelconque divinité surannée. Le petit édifice n’était pas assez grand pour accueillir une personne, même de la stature de Ogen. Mais son toit s’étendait sur plus d’un mètre autour des murs.
L’adolescente s’abrita donc sous cet abris de fortune. La fatigue la rattrapant, le son de ses ronflements se répandit rapidement sur l’ensemble du parc.

Shizu Senjago observait son reflet dans le grand miroir de sa chambre. Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres. Elle avait de quoi être fière de son physique. Grande et élancée, chacun de ses mouvements débordaient d’une grâce infinie. Ses cheveux noirs interminables étaient lâchés négligemment sur son épaule. D’une beauté classique, les traits de son visage étaient semblables à ceux des courtisanes dessinées sur les estampes.
La jeune femme lissa son kimono de soie rouge du dos de la main et jeta un dernier coup d’oeil à son reflet.

Ce jour, Shizu avait rendez-vous avec son ami et coéquipier Teruo Fujii. Ils se rejoignaient quotidiennement aux portes du Parc Seibutsu et le traversait afin de rejoindre la demeure de leur maître, près du Grand Marché de Konoha. Là bas, ils s’entraînaient ensembles aux arts shinobi et bien que débutants, ils se révélaient plutôt doués.
Au loin, Shizu aperçut la silhouette de Teruo. A grands renforts de signes et d’onomatopées, elle tenta, en vain, d’attirer son attention. Devant l’inefficacité de ses appels, elle accourut à sa rencontre.

« Bonjour Teruo. » Dit-elle d’une voix aguicheuse entre d’innombrables battements de cils.

« Salut. » Répondit-il en lui jetant un bref regard.

Côtes à côtes, les deux compères pénétrèrent dans le Parc Seibutsu.
Le jour se levait et teintait le ciel d’un panel varié de couleurs pastels. La végétation était encore recouverte de la rosée du matin et l’air était frais, comme si l’hiver persistait encore.

« Après l’entraînement, je t’offrirai le déjeuner. » Dit-t-elle en se frictionnant les épaules.

« Si tu veux. » Lâcha distraitement Teruo, qui observait les alentours.

« Tu cherches quelque chose ? » Demanda Shizu en fronçant les sourcils.

La Senjago était le genre de jeune femme qui aimait être au centre de l’attention. Lorsque cela n’était pas le cas, elle se sentait insignifiante, comme si elle disparaissait petit à petit, à l’image de la braise qui avait finit de consumer le bâton d’encens.
Elle se racla la gorge et tapota l’épaule du jeune homme.

« Non. » Dit-il sans se détourner.

Vexée, Shizu afficha un air renfrogné et se mura dans un silence de plomb ce qui ne sembla pas gêner Teruo.
Sur leur chemin, et comme chaque jours, ils croisèrent un petit sanctuaire entourée d’une pelouse et d’un parterre de lotus roses. Mais ce qui attira leurs regards ne fut pas la beauté éclatante des fleurs mais plutôt la silhouette qui s’étendait à même le sol. Teruo reconnut instantanément Ogen. Il s’avança vers elle.

« Ne la touche pas ! Ce n’est qu’une souillon. » L’avertit Shizu sur un ton alarmant.

Mais malgré les avertissements de sa coéquipière, le jeune homme brava le chant des ronflements de l’adolescente afin de lui agiter gentiment l’épaule dans l’espoir de la réveiller. Comme ce ne fut pas le cas, il la secoua de plus en plus violemment, jusqu’à ce qu’elle ouvre enfin les yeux.

Les premiers rayons du soleil vinrent frapper le visage de Ogen. Mais elle avait le sommeil lourd et ni le piaillements des oiseaux, ni les passants qui la dévisageait d’un air réprobateur ne pouvaient l’extraire de ses songes.
Alors qu’une main vint secouer son épaule, elle ouvrit péniblement les yeux et prit appui sur ses avant-bras pour s’asseoir. Du revers de sa manche elle essuya la bave qui avait coulée sur sa joue durant son sommeil.

« Teruo ? » Fit-elle d’une voix faiblarde.

« Bonjour. Dit-il en souriant. Tu as passé la nuit dehors ? »

« Euh... » Parvint-elle à articuler.

Teruo ne voulait sans doute pas se montrer inconvenant mais sa question mettait l’adolescente très mal à l’aise. Que pouvait-elle répondre ? Pouvait-elle éviter l’humiliation qu’elle commençait à ressentir ? Elle décida de tenter le tout pour le tout et de conserver le peu dignité qui lui restait.

« J’aime dormir à la belle étoile de temps en temps. » Déclara-t-elle en riant.

L’adolescente jeta un regard par dessus l’épaule de Teruo. Derrière lui, à quelques mètres, une jeune femme se tenait droite, fière, l’air contrarié. Elle était d’une beauté indéniable et vêtue des plus beaux apparats. Ogen n’avait jamais croisé pareille créature. Par politesse, elle la salua d’un geste de la main.

« Je te présente Shizu Senjago, ma coéquipière. » Dit Teruo en la désignant d’un mouvement de la tête.

Ogen se leva et épousseta maladroitement son kimono. Elle perdit un instant l'équilibre et chancela. Elle écarta les bras et retrouva un appui stable sous ses sandales.

« Bonjour, je m’appelle Ogen. » Dit-elle en s’inclinant en signe de respect.

La jeune Senjago l’observa d’un air à la fois arrogant et fasciné, comme si l’adolescente n’était qu’un insecte dégoûtant et potentiellement dangereux.

« Nous allons être en retard Teruo. Dit Shizu sur un ton sec en dévisageant Ogen. Allons-y. » Poursuivit-elle en s’emparant du bras de son coéquipier.

Teruo observa tour à tour Ogen et Shizu. Il ne pouvait pas se permettre d’être en retard mais ne souhaitait pas non plus se défaire de la présence rafraîchissante de sa nouvelle amie.

« Tu nous accompagne ? » Proposa-t-il à Ogen.

 Shizu leva les yeux au ciel et se mordit les lèvres pour ne pas laisser déferler sa rage au travers des mots acerbes qui traversaient son esprit.

« Pourquoi pas. Où allez vous ? » Fit l'adolescente qui tentait de dompter un épis coriace dans ses cheveux.

« Nous allons chez notre maître, Benjiro Miura, pour nous entraîner. Il habite de l’autre côté, dans le quartier marchand. » Expliqua Teruo.

« C’est d’accord. Peut-être que j’apprendrai un ou deux trucs en vous observant. »

Shizu pouffa. Elle se moquait ouvertement de Ogen. Cette dernière s’en rendait bien évidemment compte mais préférait se concentrer sur Teruo. Elle n’aimait pas les conflits et faisait toujours tout ce qu’elle pouvait pour les éviter.

« Mais je ne veux pas m’imposer. » Dit-elle à voix basse.

« C’est vrai que sans l’avis de maître Miura... » Lâcha Shizu.

« Il sera ravi de te rencontrer. » Souffla Teruo en interrompant sa coéquipière et en adressant un grand sourire à Ogen.

La jeune Senjago croisa les bras sur sa poitrine et jeta un regard glacial à l'encontre de sa nouvelle rivale.
Aussitôt, le trio prit la route.

Pendant un moment, on n’entendit aucun son tandis que Ogen rassemblait ses pensées et les mettait en ordre. Elle se tenait à la droite de Teruo qui la séparait de Shizu. Sans doute pensait-il qu’il était plus prudent de se mettre entre les deux jeunes femmes. Et il n'avait pas tort étant donné les regards courroucés que lançait la Senjago à l’adolescente.

« Maître Miura est très impressionnant mais ne te fie pas à son apparence. » Prévint-il Ogen après s’être longtemps éclairci la voix.

« Impressionnant ? »

Les deux coéquipiers échangèrent un regard complice.

« Tu verras. » Répondit le jeune homme en lui adressant un clin d’oeil.

« Dis moi Oren, comment est la vie dans la rue ? » Enchaîna Shizu.

« Pleine d’aventure ! Rétorqua-t-elle d’un air enjoué afin de ne pas se laisser démonter. Et je m’appelle Ogen, pas Oren. »

En réalité, elle lui aurait volontiers mis son poing dans la figure. Pour qui se prenait-elle avec ses grands airs ? Sans doute cherchait-elle à la diminuer aux yeux de Teruo.

Le trio sortit du Parc Seibutsu puis se dirigea en direction du quartier marchand. Là bas, l’agitation régnait et les rues étaient envahies par les discussions animées des passants qui se mêlaient les unes aux autres pour ne plus former qu’un pénible brouhaha.
Au moment où une odeur appétissante vint chatouiller les narines de Ogen, son ventre gronda si fort que Teruo et Shizu la dévisagèrent. L’un affichait un air compatissant, l’autre moqueur.

« J’ai un petit creux. Je vous offre une brochette d’oeufs de caille ? » Proposa le jeune homme.

Le rouge au joues, l’adolescente affamée baissa les yeux. Bien que d’une gentillesse extrême, l’attention de son nouvel ami la mettait une nouvelle fois face à la pénible réalité de son existence. Elle aurait voulu rétorquer qu’elle n’avait pas besoin qu’on lui fasse la charité mais sa honte l’empêchait d’ouvrir la bouche. Et puis la faim la tiraillait vraiment.

« Nous allons être en retard ! » S’exclama Shizu.

« Ce ne sera pas long. » Rétorqua-t-il en pénétrant dans la boutique en laissant les deux jeunes femmes en tête à tête.

Ogen, gênée, évitait de croiser le regard de la Senjago qui frappa le sol d’un pied rageur.

« L’influence d’un livre ne dure guère plus longtemps que sa lecture. » Lâcha-t-elle à voix basse.

« Qu’est-ce que tu viens de dire ? » Fit l’adolescente en haussant le ton.

Cette insupportable limande commençait sérieusement à l'agacer avec son arrogance et ses insinuations déplacées.
La belle jeune femme qui dominait Ogen de par sa taille lui adressa un coup d’oeil provocateur en posant ses mains sur ses hanches.

Teruo ressortit de la boutique, trois brochettes dans les mains. Lorsqu’il parvint à la hauteur des deux jeunes femmes, il en tendit une à chacune et s’attaqua aussitôt à la sienne.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » Dit-il la bouche pleine, ayant sentit le malaise qui planait autour d’elles.

« Rien du tout. » Le rassura Ogen en souriant de toutes ses dents.

Après plusieurs minutes de marche, les trois ninjas arrivèrent face à une maison modeste mais charmante, coincée entre une boutique qui vendait des étoffes et une maison de thé.

« Voilà la demeure de Benjiro Miura. » Déclara Teruo en désignant la façade étroite entièrement composée de bois sombre.

Alors que Teruo posait une main sur la porte d’entrée et un pied sur le perron de la maison, une silhouette monstrueuse en émergea soudainement. Les trois jeunes ninjas firent un bon en arrière en hurlant de terreur.

« Vous êtes en retard ! »

« Désolé maître Miura. C’est à cause de cette fille. » Fit Shizu en désignant Ogen.

Le colosse posa son regard sur l’adolescente qui l’observait également, d’un air ébahi.
Il était d’une taille et d’une largeur impressionnante, presque inhumaines. Son visage râblé, décoré d'une barbe fournie, semblait taillé dans la roche. Ses longs cheveux blancs étaient noués en une longue natte qui pendait lamentablement dans son dos.

« En effet, il est impressionnant ! » Murmura-t-elle à l’encontre de Teruo.

« Pardonnez notre retard. C’est ma faute. » Déclara le jeune homme en s’inclinant devant son maître.

« Ce n’est rien. Dit Benjiro en agitant sa gigantesque main dans les airs. Qui es-tu ? » Poursuivit-il en s’adressant à Ogen de sa voix profonde.

« Je m’appelle Ogen Seishuu. » Répondit fièrement l’adolescente.

« Seishuu ? » Demanda Benjiro dont le regard surpris s’illumina de l’étincelle de la curiosité.

Ogen acquiesça.

« J’ai connu un certain Dan Seishuu. Tu es de sa famille ? » Se renseigna maître Miura.

« Oui, c’est mon père. Vous le connaissez ? » Répliqua-t-elle excitée.

« Pas vraiment. Nos chemins se sont croisés autrefois. »

« Savez-vous où il est ? »

« Non, je suis désolé. »

Ogen baissa les yeux. Elle était déçue que Benjiro ne puisses d’avantage la renseigner. Mais ce nouvel indice la rapprochait du jour de sa rencontre avec son père et en cela, elle était heureuse.

Shizu, qui était légèrement en retrait, affichait un sourire sadique qui n'affectait en rien la beauté de ses traits. Elle semblait se délecter de la détresse dans laquelle Ogen était plongée. Et, sans doute, élaborait-elle déjà un plan qui consisterait à se jouer d'elle.

« Et que viens-tu faire ici ? Si ce n’est pour m’imposer un interrogatoire... » Se moqua maître Miura.

« Ogen voudrait assister à notre entraînement maître. » Déclara Teruo.

« Je suis certain que Ogen peut répondre elle même à ma question. »

« Je suis ninja depuis peu. Assister à un entraînement pourrait m’être bénéfique. »

Benjiro Miura hocha la tête. Il semblait être d’accord avec la raisonnement de l’adolescente contrairement à Shizu qui, les bras croisés sur la poitrine, observait l’adolescente d’un air méprisant.

« Allons-y. » Dit-il en entrant dans la maison suivi des trois jeunes gens.

La demeure de maître Miura s’ouvrait sur une pièce vaste et sobrement meublée où régnait une ambiance apaisante. Les murs étaient nus à l’exception d’une étagère sur laquelle était posés quelques babioles sans valeurs.
Ogen traversa la pièce à grands pas, précédée par Shizu, Teruo et leur hôte. Ils débouchèrent enfin sur une cour intérieure, entourée de murets, dont le sol était couvert de dalles grises, qu’un prunier en fleur protégeait des rayons du soleil à son zénith.
Ogen s’adossa contre le tronc de l’arbre et observa les deux disciples débuter leur entraînement. Comme ils en avaient l’habitude, ils entamèrent plusieurs séries d’étirements sous l’oeil critique de maître Miura qui s’approcha furtivement de l’adolescente.

Sans préambule et à une vitesse folle, Teruo s’élança dans les airs, un pied en avant et frappa un adversaire imaginaire. Une fois au sol, il pivota et leva son poing tendu vers le ciel avant de fendre l’air d’un mouvement circulaire de la jambe. Tel un félin, il bondit sur le côté avant d’entamer une série de coup de coudes violents.

« Alors c’est cela le Taijutsu ? » Dit l’adolescente.

« Oui. Il débute mais il a du talent le p’tit. » Répondit Benjiro le regard fier.

A bout de souffle et trempé de sueur, Teruo s’éloigna du centre de la cour, invitant par conséquent Shizu à montrer de quoi elle était capable. Cette dernière s’avança à pas lents et une fois en place, passa sa main dans son épaisse et interminable chevelure. Elle joignit ses mains délicates et exécuta une série de signes avec une dextérité déconcertante.

« Que fait-elle ? » Demanda Ogen à voix basse.

« Tais toi et regardes. » Fit le colosse en observant la Senjago avec attention.

Comme par magie, des langues de flammes émergèrent de la bouche de la jeune femme. Le spectacle était beau et dangereux, à l’image de son artiste. Quelque peu apeurée par ce qu’elle voyait, Ogen recula d’un pas et se cogna la tête contre l’écorce du prunier.
Maître Miura éclata d’un rire moqueur.
Les flammes dansèrent autour de Shizu comme muent par leur propre volonté. Mais elles semblaient étrangement amicales et inoffensives pour la jeune Senjago.
Alors que le feu s’évanouissait enfin, une épaisse fumée s’échappa de la bouche gourmande de Shizu qui entamait déjà une autre série de signes. Une énorme boule ardente roula sur elle même avant de disparaître aussitôt. Ogen n’osait imaginer les dégâts que cette technique pouvait faire sur un homme.
Le regard sombre de Shizu rencontra celui, éberlué, de l’adolescente qu’un frisson fugace secoua.

« Elle fait partie du célèbre et prestigieux clan des Senjago. Ces gens maîtrisent le feu comme nuls autres. » Chuchota Benjiro.

Ogen était sans-voix. Elle n’avait jamais imaginé l’ampleur des pouvoirs des ninjas. Elle avait entendu, au cours de son périple, ça et là des bribes de conversations à propos de cette nouvelle énergie qui permettait à certaines personnes de faire des miracles. LE Chakra. Mais jamais elle n’aurait pensé assister à une prouesse telle que celle-ci.
Aussitôt, elle se sentit seule et exclue. Elle n’était pas à sa place. De quoi était-elle capable, elle, la fille des champs du Pays du Thé ? Elle savait se défendre contre les goujats qui la harcelaient parfois mais jamais elle ne pourrait rivaliser avec la virtuosité et la force qu’elle observait ici.

« Ne t’inquiètes pas. Eux aussi ont commencés à partir de rien. Enfin, Shizu possède les gênes des Senjago, elle est donc naturellement douée pour la maîtrise du Katon. Mais Teruo, lui, n’est arrivé à ce niveau que grâce à l’entraînement et à l’acharnement sans faille dont il a fait preuve. »

Ogen releva la tête, plongea son regard dans celui de maître Miura et lui adressa un sourire apaisé.

« A mon tour ! » S’écria Benjiro.

Le maître s’avança dans la cour et se mit en position. Ses muscles tendus il exécuta un saut prodigieux et atterrit plusieurs mètres plus loin, le poing profondément enfoncé dans le sol. De sa main libre, il exécuta une série de signes avec habilité et un mur de flammes s’éleva devant lui. Il le traversa en s’élançant avec force et réceptionna sa chute par une roulade. Une fois sur ses deux pieds il tendit le pied en l’air et cracha plusieurs boules de feu en direction du ciel.

Ogen était subjuguée par la démonstration de maître Miura. Il surpassait clairement ses disciples. La force et la vigueur dont il faisait preuve étaient plus qu’impressionnantes.

Benjiro Miura se releva agilement. Il ne paraissait ni atteint par la fatigue, ni même essoufflé.

« Shizu, Teruo, je vous informe que Ogen va dorénavant faire partie de notre équipe. Dit-il après s’être éclairci la gorge. Je suis persuadé que vous avez beaucoup de choses à lui apprendre et que vous aussi vous apprendrez énormément à ses côtés. » Poursuivit-il de sa voix caverneuse.

Un sourire radieux se dessina sur les lèvres du jeune Fujii tandis que les épaules de Shizu s’agitèrent d’un tremblement nerveux qu’elle avait, visiblement, de la peine à contrôler.
Le visage de Ogen se décomposa sous l’effet de la surprise. Elle s’était attendu à tout, sauf à ça.

« Je ne sais pas si... » Commença-t-elle sur un ton hésitant.

« Ne t’en fait pas, tu apprendras. » L’interrompit-il en souriant.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne suis pas certaine de vouloir intégrer votre équipe. » Lâcha l’adolescente en tortillant une mèche de cheveux autour de son doigt avant de jeter un coup d’oeil vers Shizu.

Benjiro s’approcha de Ogen et posa son immense main sur son épaule.

« Ecoutes, tu es une kunoichi de Konoha dorénavant. Tu n’as pas le choix. Compris ? » Grogna le colosse.

Ogen vit le regard de Benjiro s’assombrir et ses sourcils se froncer. L’expression de son visage changea du tout au tout.
Soudain, sa main enserra son épaule et elle sentit ses doigts s’enfoncer dans sa chaire. Elle serra les dents mais ne put réprimer un pitoyable cri de douleur tandis que Shizu observait la scène avec délectation.

« Très bien. Dit le maître alors qu’il revêtait à nouveau le masque de la bienveillance. A demain. »

Il frappa dans ses mains. C'était le signal qui indiquait que l'entraînement pouvait reprendre.
Puis, il fit volte-face, faisant ainsi comprendre à sa nouvelle disciple qu’il était temps pour elle de partir.
Teruo observa l’adolescente quitté la demeure de leur maître puis rejoignit Shizu afin de reprendre l’entraînement au rythme des critiques de leur tyrannique maître.
Alors que Ogen traversait la petite cours en direction de la sortie en massant son épaule meurtrie, la rumeur de leurs exercices s’atténuait progressivement.
Une fois dans la rue, la réalité la frappa. Elle venait d’intégrer l’équipe de maître Miura sans vraiment en avoir fait le choix. Est-ce que cela l’empêcherait d’atteindre son but initial ? Ou alors était-ce là une occasion qui lui permettrait, enfin, de retrouver son père ? Après tout, le dernier indice qu’elle avait collecté venait directement de Benjiro Miura. Peut-être en savait-il plus qu’il ne lui avait fait croire. Et puis, elle préférait ne pas trop attiser sa colère.
Une fois de plus, Ogen se retrouvait à la croisée des chemins. Avec un plaisir étrange elle s’abandonna, préférant se laisser porter par les flots agités de son propre destin.

Désolé pour le retard ! Petit soucis du aux restrictions à géométrie variable de certaines sections mais c'est arrangé !

Ogen Seishuu +35 XP



ps : J'ai beaucoup apprécié ton rp, continue comme ça !