Avec un soupir de bien-être, Ebiko se laissa glisser dans l’eau brûlante. La vapeur qui montait jusqu’aux poutres du plafond l’enveloppait et l’odeur tenace du savon qui flottait dans la baignoire lui picotait le nez. Elle agita énergiquement ses bras et ses jambes pour détendre ses muscles endoloris par ses entraînements. La violence des souvenirs des événements qui avaient marqués son existence ne s’étaient pas dissipés. En y repensant, la tristesse voila son regard. Par moments, elle se noyait dans ses souvenirs et retombait dans une angoisse dépressive dont elle peinait à s’extirper. Après quoi la haine et le désir de vengeance l’envahissait comme si quelqu’un c’était saisi d’elle pour la pousser sur le rebord d’une fenêtre, neuf étages au dessus de la rue.
Lentement, elle se laissa glisser sous l’eau, puis refit surface et plaqua en arrière ses cheveux dégoulinants. La peau de ses mains commençaient à se plissée. C’était le signe qu’il lui fallait sortir de son bain. De toute façon elle était en retard, comme toujours... Son maître devait déjà l’attendre aux abords du lac.
Elle s’extirpa de sa baignoire et laissa un instant l’eau glisser le long de son corps et atterrir sur le sol carrelé de la salle de bain. D’une main elle s’empara d’une serviette moelleuse et l’entoura autour de sa poitrine, puis en saisit une autre qu’elle enroula autour de sa longue crinière. Dans le miroir embué fixé au mûr, elle observa son reflet. Un air fatigué ne la quittait plus depuis plusieurs jours. Wataru, son maître, s’acharnait à lui enseigner une technique qu’elle avait du mal à appréhender. Il s’agissait de la Maîtrise du Ninjutsu, qui permettait d’économiser son Chakra lors de la réalisation de techniques. Mais son apprentissage requerrait une bonne dose de concentration et c’était justement cela dont manquait cruellement Ebiko. Son esprit se laissait facilement distraire par ce qui l’entourait où par les souvenirs qui étaient enfouis en elle.
Une fois sèche, Ebiko enfila sa tunique noire qui moulait ses formes généreuses. Elles constituaient selon elle, une arme additionnelle au peu de techniques qu’elle maîtrisait.
Elle quitta son minuscule appartement du centre-ville et se dirigea vers le lac.
Comme elle l’avait prévu, Wataru l’y attendait, les bras croisés, un air contrarié gravé sur son visage délicat. Ses longs cheveux blancs flottaient dans son dos.
Wataru -
Tu es encore en retard ! Ebiko -
Oui désolé... Dit-elle en se grattant le sommet du crâne.
Wataru -
Reprenons là où on s’était arrêtés hier.Ebiko -
Très bien.Wataru -
Arrêtes de faire ta maligne. Ebiko leva les yeux au ciel. Parfois, Wataru l’exaspérait. C’était un bon professeur. Mais il était très avare en compliments ou en encouragements. Si bien que lorsque Ebiko faisait quelque chose de bien, il se contentait de se taire. Et ce silence était beaucoup plus équivoque que tous les discours élogieux.
Wataru -
On se concentre. Le lac s’étendait devant eux, recouvert d’une brume épaisse, si bien qu’ils ne pouvaient en deviner les dimensions. Les lieux étaient reposant et propice à une méditation intense mais Ebiko ne parvenait pas à trouver la paix intérieure nécessaire à son entraînement.
La veille, Wataru lui avait appris tout ce qu'elle devait connaître à propos du Chakra, cette énergie qui circule dans son corps. Ces dires lui rappelèrent ce que lui disait sa mère quand elle était enfant. Était-elle capable de percevoir le Chakra ? Était-elle vraiment folle ? Ou ne comprenait-elle pas ce qu'elle voyait ?
Toutes ces questions qu'elle se posait, parasitaient son esprit et l'empêchait de se concentrer.
Ebiko -
Bordel ! Je n’y arrive pas !A bout de patience après des jours d’essais infructueux, elle avait tendance à abandonner facilement.
Wataru -
Tu n’essayes même pas ! Peut-être que dans le temple tu ne serais pas distraite. Dit-il en haussant le ton.
Depuis son arrivée à Kumo, elle avait éviter le temple de peur d’y croiser sa mère. Elle n’avait aucune nouvelle d’elle et ne souhaitait pas en avoir. Elle craignait plus que tout de croiser son regard.
Ebiko -
Non, je vais y arriver.Wataru qui connaissait l’esprit mercantile de sa disciple déclara :
Wataru -
Je te lance un défi. Si tu parviens à maîtriser cette technique aujourd’hui, je te donnerai trois Ryos. Mais si tu échoues, ce sera à toi de dénouer le cordon de ta bourse.Ebiko fut ragaillardit par le discours de son maître. Aveuglée par la récompense que lui promettait Wataru, elle redoubla d’efforts. Elle consacra toute sa journée et toute son énergie à son entraînement.
La nuit tombait progressivement sur le village. Petit à petit, le soleil se couchait derrière la chaîne de montagnes. Ebiko s’entraînait encore. Seul le chant des grillons venait troubler le silence ambiant.
Wataru observa son élève. Il en était fier, malgré ce qu’il lui laissait croire. Petit à petit un lien s’était créer entre eux. Même s’il ne remplacerai jamais sa famille, il se voyait très bien dans le rôle du parrain, de celui qui guide vers la voie à suivre. Mais Ebiko était une tête de mule et malgré ses nombreux discours, il n’était pas parvenu à lui faire changer d’avis quant à son désir de vengeance.
Ebiko -
J’ai réussi ! Hurla-t-elle.
Elle sauta de joie en criant, effrayant au passage un héron qui passait aux abords du lac. D’un violent battement de ses ailes grises il prit son envol avec grâce.
Ebiko -
Par ici la monnaie.En souriant, elle tendit sa main ouverte vers Wataru, silencieux. Celui-ci fouilla le fond de ses poches et en extirpa trois pièces qu’il laissa tomber dans la paume de la main de Ebiko. Le tintement des pièces qui s’entrechoquaient la saisirent jusqu’au plus profond de son être. Pour elle, rien n’était aussi bon que de gagner de l’argent. Elle était prête à tout pour en obtenir.
Ebiko -
Une, deux et trois. Le compte y est.Wataru fixait ses pieds l’air dépité. Comment pouvait-elle être aussi vénale ?
- Spoiler:
Demande de validation de la technique : Maîtrise du Ninjutsu.
¤¤¤
Il faisait nuit noire et le jour était encore loin lorsque Ebiko se réveilla soudainement, haletante. Dans sa chambre, l’air était glacé. Elle avait la chaire de poule. Un calme serein régnait sur le village endormi qui attendait les premiers rayons du soleil pour s’agiter de ses turbulences habituelles.
Un mauvais pressentiment tiraillait Ebiko. Elle ne pouvait dire pourquoi mais ce sentiment envahissait son être tout entier. Elle se leva sans un bruit et s’enroula dans sa veste. Elle jeta un coup d’oeil curieux de la fenêtre. Dehors les rues étaient désertes. Rien à signaler, tout paraissait normal. Rassurée, elle décida de retourner au lit. Elle s’étira, se gratta le dos et bâilla bruyamment. A côté du lit trônait une petite table de chevet couverte de divers objets : une tirelire, un roman, une brosse à cheveux, un bouquet d’herbes sèches... Le reste de la pièce était sobrement meublée d’une commode et d’une chaise.
Ebiko sombra dans un sommeil réparateur.
A l’aube, les rayons solaires percèrent le carreaux de la fenêtre, frappant le visage de Ebiko. Elle se frotta vigoureusement les yeux et s’assit dans son lit. Le souvenir de sa nuit agitée lui revint en esprit. Elle s’habilla et enfila ses chaussures en hâte. Après un petit déjeuner express elle quitta son appartement.
Dehors, un vent vigoureux soufflait en hurlant mais le soleil réchauffait l’atmosphère. Baigné dans cette lumière revigorante, le village niché au creux des montagnes paraissait plus qu’hospitalier. Ebiko descendit la rue marchande en jetant de brefs coup d’oeil aux vitrines des rares échoppes. Quelques passants faisaient leurs emplettes. Des rires fusèrent et Ebiko se surprit à sourire. Il était agréable de penser que l’action que menait le village permettait à ses habitants de vivre sereinement et dans l'insouciance.
Sans qu’elle ne saches pourquoi, le regard de Ebiko se posa sur la demeure du Daimyo, sur les hauteurs du flanc de la chaîne de montagne qui lui faisait face. Elle ne l’avait jamais rencontrer et n’en éprouvait pas réellement le désir.
Mais la curiosité la titillait. Dans quelles conditions vivait-il ?
Lorsqu’elle arriva aux abords du lac, elle remarqua que Wataru n’était pas là. C’était la première fois qu’elle était la première arrivée à l’un de leurs rendez-vous. Elle haussa les épaules et décida de le retrouver chez lui. Peut-être n’était-il pas réveillé.
Ebiko longea le lac en tentant de percer la brume du regard, en vain. Elle bifurqua ensuite vers la baie afin de regagner le quartier résidentiel et ainsi la maison de Wataru.
Devant elle se dressait la maison rudimentaire, quoique charmante, de son maître. Des fleurs blanches et jaunes décoraient les fenêtres sur la façade de bois sombre. Elle frappa à la haute porte d’entrée avec vigueur. Wataru entrouvrit la porte et passa sa tête par son encadrement.
Wataru -
Ebiko ? Qu’est ce que tu fais là ?Ebiko -
Vous n’étiez pas au rendez-vous alors...Wataru -
Écoutes. Maintenant je n’ai plus rien à t’apprendre. Tu dois débuter une nouvelle ère de ton apprentissage. Ebiko -
Mais je ne veux pas d’un autre maître. Dit-elle émue.
Wataru souffla avant de reprendre :
Wataru -
Si tu veux progresser, tu n’as pas le choix.Sur le chemin du retour, Ebiko avait l’esprit en ébullition. Elle courait aussi vite qu’elle le pouvait. Même lorsque sa respiration se fut haletante, elle ne s’arrêta pas. Elle atteignit les abords du lac où se déclinait une fantastique palette de couleurs chatoyantes. L’air était pur et tiède. Le cœur de Ebiko bondissait dans sa poitrine. Elle prenait cette décision de Wataru comme une trahison. Elle se sentait abandonner. Elle décida de déverser toute sa rage et sa frustration dans un entraînement éreintant. Lorsqu’elle fut trop épuisée pour continuer, elle s’allongea sur le sol humide. Sa poitrine se soulevait non plus au rythme de sa respiration mais à ceux de ses sanglots. Ce n’étaient pas des larmes de tristesses qui coulaient sur ses joues mais des larmes de fierté. Elle se félicita d’en être arrivé là sachant comment sa vie avait débutée. Mais elle n'avait pas encore atteint son but.
Un regard vers l’avenir, elle scrutait le ciel nuageux et se fit la promesse de réaliser ses rêves quel-qu’en serait le prix.