| Sujet: [Chambre de Nakajima Seijuro] Mer 15 Juin - 4:54 | |
| Dans une petite chambre en tout point semblable à bien d’autres, perdue au sein même du village caché de Konoha, se trouvait le jeune Seijuro, soufflant le sommeil du juste de telle manière que l’enfant l’aurait crue impossible encore deux semaines auparavant. L’aube semblait s’être finalement décidée à pointer le bout de son nez car, en effet, les premiers éclats d’un soleil matinal pénétraient maintenant dans la petite pièce et ce, par l’entremise d’une fenêtre que Seijuro avait laissée, la veille, entrouverte. L’enfant dormait donc paisiblement, mais non pas dans son lit comme il aurait été légitime de s’y attendre mais bien à même le sol. Seijuro avait bien tenté de s’endormir dans ce confortable lit qui était maintenant le sien, mais des mois de veillées à la belle étoile lui avait fait perdre l’habitude d’un tel confort. Pour quelques temps, semblait-il, il lui faudrait se familiariser avec les manières humaines et ce, jusque dans la moindre des choses. Lentement mais surement, l’esprit de Seijuro émergea des limbes oniriques qu’il parcourait jusqu’alors et, il faut bien l’avouer, son premier contact avec cette réalité si différente de celle qu’il avait connue, le fit sursauter. Il se redressa sur le sol, jetant des regards inquisiteurs à gauche puis à droite, tout paniqué qu’il était, jusqu’à ce qu’enfin, il soit tout à fait éveillé et que sa mémoire soit fonctionnelle. Un tel contraste émotionnel eut comme l’effet d’une douche froide après une course effrénée, et le jeune garçon ne put s’empêcher de rire car il se trouvait, somme toute, fort ridicule.
Le rire. Voilà une activité qui n’est que trop peu souvent appréciée à sa juste valeur, un trésor d’une valeur inestimable aux détours qu’offre une vie. Avant son arrivée au village, le jeune Seijuro n’avait plus ri depuis belles lurettes et, sans l’escouade de ninjas qui l’avait secouru, sans doute n’aurait-il jamais plus eu l’occasion de le faire. On ne peut connaître la véritable importance d’une telle chose avant de l’avoir perdue car elle semble d’abord, au fil de l’enfance, acquise et propre à la nature humaine, dont on ne connait pourtant rien à ce moment. Béni soit celui qui vit dans une telle ignorance, et respecté soit celui qui conserve un sens de l’humour juste et charte tout en ayant goûté l’amer hiver de la solitude. Seijuro se leva finalement et balaya à nouveau des yeux, cette nouvelle demeure qui était la sienne.
Bien que petite, la chambre contenait tout ce qui lui serait nécessaire afin de vivre confortablement; un petit four à bois pour la cuisine, un réfrigérateur, un robinet, une salle de bain, un lit ainsi qu’une table basse à laquelle Seijuro vint s’asseoir. La veille, il avait fait l’acquisition d’un petit journal ainsi que d’une plume et d’un peu d’encre. Dans son village natal, la position de son père lui avait assuré une remarquable éducation bien que celle-ci avait été prématurément avortée. Toujours est-il que le petit Seijuro avait toujours adoré la calligraphie, une activité dans laquelle il excellait. L’enfant ouvrit le petit journal, mouilla le bout de sa plume et l’imbiba d’encre avant d’en poser l’extrémité sur la surface du papier blanc.
« Je suis maintenant citoyen du village caché de Konoha depuis quelques semaines, et voilà que je peux sortir de chez moi sans ressentir ce point au cœur, cette tension et cette animosité envers le visage anonyme qui me dominaient jusqu’à présent. Ce matin, j’ai ri pour la première fois depuis des lustres et il m’a soudainement semblé que j’étais redevenu, le temps d’un instant, l’enfant que j’étais il y a de cela si peu de temps. Autour de moi, je vois d’autres gamins qui s’amusent avec cette innocence que légitime la nature même de l’enfance. Je me demande si, un jour, je pourrai retrouver un tel état de quiétude d’esprit, ce dont je doute, je dois bien l’avouer. J’ai beaucoup réfléchi au cours de ces derniers jours, et au contact d’autres êtres humains qui me traitent comme leur égal, et qui s’exprime dans un langage articulé et propre avec moi, il me semble retrouver un sentiment étrange que je n’arrivais pas à nommer. Je crois que c’est cela, être humain.
J’ai recommencé à nommer les choses, et certaines des actions que j’ai posées avant mon arrivée m’apparaissent surnaturelles, dictées par un instinct qui, depuis, aurait battu en retraite. Lorsque je ferme les yeux, je vois ces yeux reptiliens qui m’observent dans les ténèbres mais j’ai craint d’en parler aux médecins qui m’avaient à leur charge et ce, de peur qu’ils me prennent pour un fou. Un gamin qui aurait perdu la tête, traumatisé par le malheur qui s’est abattu sur lui. Tsuki. En repensant à tout ce qui s’est passé, j’ai l’impression qu’une vie entière s’est écoulée depuis. Je suis différent des autres enfants, mais tout à fait adulte. Tsuki. Contrairement à ce regard mystérieux, j’arrive à te voir et ce, même mes yeux éveillés. Je me sens… tellement coupable. Je ne sais pourquoi je te destine ces quelques lignes, ce journal que jamais nul ne lira. Sans doute est-ce ma façon à moi d’honorer ta mémoire, d’ancrer ton existence dans cette nouvelle réalité qui est la mienne. Je deviendrai un ninja de première classe, et je te sauverai encore et encore pour toute les fois où je fus trop faible pour le faire. Peut-être me diras-tu que tu n’es morte qu’une fois, aussi te dirai-je que tu te trompes car, chaque nuit depuis que tu t’es endormie, je te rêve et j’échoue à nouveau. Plus jamais. Ce sera mon Nindo.»
Seijuro posa sa plume et, le cœur léger, se leva puis se dirigea vers la salle de bain. Machinalement, il se déshabilla et entassa son pyjama dans un coin sans plus de cérémonie. Il se dirigea vers la douche mais quelque chose attira son attention : son reflet. Devant le miroir, nu, il s’observa un moment. Ses cheveux châtains semblaient n’obéir à aucune loi, comme c’était bien là son habitude. Sa peau était pâle, certes, mais il avait repris quelque couleur depuis qu’il était sorti de l’hôpital. Les derniers mois avaient eu pour effet d’altérer sa constitution : bien qu’étant âgé d’à peine neuf ans, sa musculature était somme toute bien développé mais ce n’était pas là les seules traces de ses aventures; en effet, sa peau était maculée de cicatrices : morsures, entailles et blessures causées par les flèches des marchands d’esclaves maculaient sa poitrine, ses bras et son dos. Lorsqu’un individu s’acharne à contempler son propre reflet, ce dernier ne peut que finir par s’étonner de l’étrangeté de sa physionomie. Seijuro avait soudain l’impression que ses doigts n’étaient pas si loin de longues pattes d’araignées, que ses cheveux ressemblaient à une crinière, que sa peau était semblable aux écailles d’un poisson. Tandis que cette impression d’étrangeté s’intensifiait, le jeune Seijuro se sentait pris de nausée; aussi décida-t-il donc de se détourner de la glace et surtout de son reflet, pour prendre une bonne douche.
Sous la douche, Seijuro appuya son front sur le mur, les paumes sur les oreilles et écoutant la musique de l’eau qui coule tandis qu’elle lui tombait sur la tête. Il pouvait entendre jusqu’aux battements de son propre cœur, certes lents pour le moment mais le rapprochant pourtant irrémédiablement vers l’instant fatidique. À cette pensée, agrémentée par l’image de sa propre nudité, s’entremêla le souvenir de ce marchant d’esclave aux mains rêches, et de son souffle s’apparentant plus au grognement d’une bête qu’au gémissement d’un être humain. Le jeune garçon ouvrit alors les yeux et constata bien malgré lui qu’il s’était mordu la lèvre inférieure jusqu’au sang. Seijuro soupira longuement et, tandis qu’il se rinçait, s’essuyait et s’habillait, il se dit qu’il lui faudrait encore du temps avant de pouvoir… vivre normalement. Il sortit finalement de la salle de bain, attrapa une galette au passage puis ouvrit la porte vers sa nouvelle vie et partit à l’encontre de sa nouvelle vie.
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