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| L'ascension du Vendeur de Breloques. | |
| | Sujet: L'ascension du Vendeur de Breloques. Dim 30 Jan - 19:16 | |
| ~ L'ascension du Vendeur de Breloques ~
La caravane s'étirait sur la plaine enneigée, et l'on n'en distinguait pas le bout. Il disparaissait dans le brouillard, comme camouflé et invisible. Les lourdes roues des chariots s'enfonçaient dans la neige, y creusant de profonds sillons. L'oiseau qui observait le cortège pouvait avoir l'impression que celui-ci dévorait la douce étendue blanche au fur et à mesure de son avancée. Le blanc cédait la place au noir des terres givrées qui étaient révélées au petit jour par la colonne d'hommes, de chariots et de chevaux. Les cris perçaient le ciel, écartant les nuages, faisant vibrer l'air chargé d'une activité intense. La caravane était longue à progresser. Quinze chariots bâchés, et tirés chacun par deux buffles. Les animaux renâclaient, l'avancée était dure et il fallait toute l'adresse des bouviers pour empêcher les buffles de quitter la route. L'escorte était forcée de chevaucher sur les bas-côtés de la route. En tête chevauchaient deux hommes et une femme. Le premier d'entre eux avait l'air d'un grand seigneur. Il était vêtu d'un habit riche, brodé de fils dorés, et d'une douce couleur bleue. A sa large ceinture était passé un katana ouvragé et son éternel compagnon le wakizashi. Un large manteau couvrait ses épaules, un manteau de voyageur épais d'une couleur sombre, brodé de nombreuses arabesques. Les épaules paraissaient relevée par ce qui s'avérait être des pièces d'armure relativement ouvragées. Non, en effet, Yasuki Sui n'avait plus l'air d'un humble marchand. La caravane avait pris de l'ampleur, et il était à présent une sorte de seigneur des routes, chevauchant le long de son affaire, juché sur une haute monture à la robe grise mouchetée de blanc. Secondé par son grand ami et associé Terada Soiji. L'homme suivait de près mon père, monté sur un cheval noir à l'air nerveux. Il portait des atours rouges faits d'un drap épais mais précieux, et un chapeau à larges bords était attaché dans son dos, à côté d'un lourd tetsubo cerclé de fer noir et doré. L'homme massif avait le visage toujours aussi rouge, et la barbe des voyageurs de long terme mangeait une grande partie de sa figure. Des plaques d'armure tout aussi rouges étaient attachées à ses bras et ses jambes, mais il allait tête nue, et ses cheveux étaient battus par le vent. Le point commun des deux hommes? Leur accoutrement ne semblait pas naturel – bien qu'il leur aille parfaitement – et ils portaient l'attribut des marchands accrochés à la selle de leur cheval: leur sacoche de négociant. La différence avec la femme était marquée. Elle chevauchait comme une guerrière. Elle ne portait presque aucune pièce d'armure, mais un ensemble de robes similaires à celles d'un samuraï. Elles étaient noires, et un mon rouge affectant la forme d'un scorpion s'étalait dans son dos. Il était inscrit sur les gants de cuir bouilli qui lui protégeaient les poignets. Un nodachi impressionnant était attaché à la selle de sa monture marron, lui battant le flanc, tandis qu'un arc de bonne facture reposait dans le dos de la femme. Bayushi Amane, la mercenaire. Elle avait été engagée par les deux hommes pour accompagner la caravane avec quarante de ses meilleurs hommes. C'était une professionnelle, chère, mais les risques encourus par une caravane étaient bien trop importants. Sui – Êtes-vous sûre de la route que vous nous faites prendre?La voix de l'homme, filtrée par le tissu qu'il portait sur la bouche pour se couvrir du froid, et ballotée par un vent de plus en plus violent, parvint tout de même aux oreilles de la mercenaire. Sa voix s'éleva, froide et cassante, mais trahissant une puissance et un charisme rares: Amane – Vous m'avez payée.Sui n'apprécia pas la manière dont la Bayushi l'avait mouché. Il préféra toutefois ne rien rajouter. Il fallait se fier à cette femme, il ne connaissait pas encore cette nouvelle voie commerciale qu'il explorait. La ville de Toshi lui était encore inconnue, mais il savait que sa réputation en matière d'occasions commerciales n'était pas usurpée. Il fit avancer son cheval de quelques centimètres, dépassant ainsi la mercenaire de quelques centimètres. Soiji le rejoignit rapidement. Soiji – Tu crois que nous pouvons lui faire confiance?Sui – Si l'on se fie à sa réputation, oui, je pense.Soiji fit une moue discrète, et regarda derrière lui, les hommes d'escorte. Certains chevauchaient, d'autres marchaient, et d'autres encore étaient assis sur les chariots. Ces mercenaires étaient assez impressionnants, la plupart portant des naginatas. Certains arboraient de magnifiques arcs. Quelques uns étaient engoncés dans des armures complètes et étaient armés de sabres. Probablement des ronins. C'était évident lorsqu'on regardait ces hommes: ils étaient les plus redoutables mercenaires qui puissent exister, implacables mais soumis aux ordres de Bayushi Amane. Soiji – Je pense qu'on peut être rassurés. Je n'aimerais pas être le bandit qui tenterait de prendre notre caravane d'assaut.Souriant de toutes ses dents, il saisit le tetsubo de fer et joua avec l'espace d'un instant. Peu de marchands pouvaient se targuer d'être aussi impressionnants que Terada Soiji. Les deux hommes continuèrent de chevaucher. Le voyage devait être bien plus long qu'à l'accoutumée. Deux mois sur les routes, si l'on comptait les haltes, pour parvenir jusqu'à Toshi. Puis ils resteraient sur place encore deux semaines, avant de reprendre la route en sens inverse. Sui songea un instant à sa femme, qui était restée à Hitsume. Lorsqu'il était parti, l'hiver n'en était qu'à ses premiers feux, et le village commençait à faire ses réserves. L'aide de la caravane serait profitable au village. Puis Sui pensa à ses actions. Ses affaires prenaient un tour alléchant, et il développait de plus en plus ses activités de contrebande. Il commençait à tisser des liens avec les pirates des îles du pays de l'eau. La piraterie était dangereuse: il fallait rester humble, et ne jamais s'attaquer à trop grosse prise, sous peine d'attirer des représailles de la part du village caché de Kiri No Sato. Il avait ainsi perdu de nombreuses opportunités d'accéder à des marchandises de premier choix: des capitaines tentant le diable terminaient souvent leur carrière empoisonnés, ou sur une table de dissection pour Eisei-nin expérimentant. Ils devaient faire un arrêt à Hagi, en route, le port où il avait emmené son fils. Il en profiterait pour prendre contact avec Houso Fumio, le capitaine avec qui il était en lien en ce moment. Sui espérait qu'il parviendrait à lui ramener ces armes ninja qui se vendaient si bien au marché noir. Décidément, le marchand avait définitivement basculé de l'autre côté de la barrière. Un côté bien plus lucratif, évidemment. Soiji – La nuit prochaine, nous nous reposerons dans les murs d'Ichi.La voix puissante de l'homme avait interrompu Sui dans ses réflexions et divagations. Il jeta un oeil en direction de son ami. Celui-ci souriait. Ils avaient tous besoin d'une halte. [à suivre] |
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| Sujet: Re: L'ascension du Vendeur de Breloques. Dim 20 Fév - 14:59 | |
| Ils avaient longuement chevauché, et désormais, ils faisaient une halte. L'arrêt nocturne était terrifiant pour le marchand banal. Il était soumis aux risques de la nuit, qui charriait maladies, bêtes sauvages, et manteaux nocturnes pour rôdeurs en quête de butins. Mais la caravane menée par Yasuki Sui n'exprimait aucune de ces craintes: elle était bien trop puissante, et bien trop protégée. Et surtout, elle était menée par un trio efficace, dont les capacités étaient à l'origine de bien des rumeurs.
Les chariots étaient désormais organisés en cercle, afin de protéger les marchands et les meneurs de chars qui dormaient au centre. Un grand feu projetait sa lumière violente sur les toiles rugueuses, mettant en exergue chacun des creux du tissu épais. Des ombres lui survivaient, derrière les malles, entre les chariots, sous les roues, et faisaient comme des taches noires sur un papier blanc. Elles repoussaient la lumière, mais, en même temps, étaient rassurants. Elles dissimulaient. On sous-estimait bien trop l'utilité de l'obscurité: certes, un ennemi peut s'y fondre, mais, si lui le peut, vous le pouvez aussi.
Le cercle de chariots était protégé par un cercle extérieur de mercenaires. Bayushi Amane ne laissait jamais rien au hasard. Elle était aussi inflexible qu'un chêne profondément enraçiné, et savait se glisser dans les interstices des protections de l'adversaire à l'instar d'un serpent. Elle était donc à même de protéger au mieux le campement. De petits feux entouraient le cercle, veillés chacun par un à trois mercenaires, armés jusqu'aux dents. Ces hommes étaient endurants, puissants, rapides.
Et impitoyables. A l'image d'Amane, qui, elle-même, participait aux veillées et prenait quelques tours de garde.
Soiji – Que penses-tu de notre plan, Sui? Le chargement a été vérifié, je pense que nous pourrons parvenir à, comment dire... Persuader ce cher seigneur Hitomaro.
La voix forte du marchand au tetsubo avait interrompu Yasuki Sui dans ses constatations sur la défense de leur camp. Il reprit ses esprits, jeta un œil au sourire devenu retors de son éternel compagnon, puis plongea à nouveau sa cuiller de bois brut dans son brouet.
Sui – Tout ce que je sais, c'est que je place toute mon espérance dans sa capacité à nous accueillir comme il se doit!
Les deux hommes partirent d'un grand éclat de rire. Ils étaient encore jeunes et forts, la nuit et ses crocs glacées n'avait que peu d'emprise sur leurs muscles d'acier, et leur santé de fer. La seule atteinte du temps sur ces deux marchands-soldats, c'était le piquetage gris métallisé qui gagnait leurs joues à la manière d'une rouille argentée.
Sui – Plus sérieusement, j'ai hâte d'arriver à Hagi. On pourra placer le premier de nos pions. J'en ai assez qu'on me regarde de haut. Je ne veux plus qu'on me prenne à la légère.
Le ton de sa voix était étrange. Teinté d'ironie, de désespoir, et de cruauté. Il se leva d'un geste rapide, saisit son katana à la manière d'un professionnel, puis se dirigea sans mot dire vers l'extérieur du campement, laissant là le Terada, interloqué.
Le Yasuki fit quelques mètres, puis se glissa entre deux chariots. Devant lui s'étendait la morne plaine, noire et profonde. Elle aspirait à elle tout le bruit de leur campement, de la vaisselle aux accords de kotos. Les mercenaires faisaient volontairement jouer leurs lames à la lumière de leurs feux pour décourager les téméraires bandits. Sui fit quelques pas en direction du feu le plus proche, et s'aperçut que le hasard négociait toujours bien les virages. En effet, le mercenaire, armé d'un naginata, n'était pas seul. Il bénéficiait pour l'instant de la présence plus que charismatique de Bayushi Amane.
Amane – Tiens donc. Monsieur le marchand, habillé de pied en cap et armé comme pour partir à la guerre.
La pique pleine d'ironie atteignit le Yasuki avec l'effet escompté: il rougit violemment, si fort que ses joues auraient pu le trahir dans le noir. Il décida d'ignorer la remarque, et s'avança près d'elle, en posant sa main sur la tsuba. Il résista à l'envie qui le prenait régulièrement de débloquer son habaki. Un tel geste n'aurait fait que le ridiculiser encore plus auprès de la mercenaire. C'était une vraie femme de la route. Elle avait passé la plus grande partie de sa vie sur les routes, portée par le vent, et par l'argent.
Sui – La lenteur use mes os. J'ai l'impression de perdre mon temps en pauses multiples.
Amane baissa la tête. Sui avait dû apprendre sur le tas à commander ses hommes, pour les fédérer au mieux. Pour elle, c'était bien plus facile. Elle avait été élevée dans une famille de guerriers déchus qui avaient tenu à lui inculquer le code des guerriers. Elle n'y adhérait pas mais, en grande meneuse d'hommes, avait su en garder le matériel utile.
Amane – Apprends donc, Yasuki. Approfondis tes connaissances, plutôt que de te plaindre.
Sui – Serais-tu capable de m'apporter ces rudiments?
La Bayushi partit d'un éclat de rire clair et sonore, qui brisa la nuit à l'instar d'un magistral cri de guerre. Puis, tournant les talons, elle s'éloigna d'un pas rapide mais assuré, laissant là le marchand à ses pensées. Qui se torturait l'esprit sans relâche. Il lui était décidément bien dur de vivre constamment loin de son foyer. Il perdit un instant son regard dans les profondeurs de la nuit, tentant de discerner les différentes nuances de noir, les silhouettes fantomatiques des arbres, des roches, essayant de sentir le parfum de la brise. Il ferma les yeux.
Lorsqu'il retourna au camp, il trouva l'ensemble des hommes autour du feu. Cherchant des yeux la forte silhouette de Terada Soiji, il l'aperçut enfin, un peu à l'écart du cercle. S'asseyant à ses côtés, il défit le cordon du katana et le déposa au sol. L'homme imposant était silencieux, et écoutait les chants nostalgiques des marchands. Yasuki Sui se laissa à son tour bercer par ces chants.
« Dans l'âtre le feu est rouge Sous le toit il y a un lit Mais nos pieds ne sont pas encore las! »
Sui sentit alors toute l'intensité de son oeuvre. Il avait débuté afin d'assurer la prospérité à son village. Désormais, il voulait se charger de sa famille. Mais il y avait autre chose, qu'il sentait s'agiter en lui. Depuis qu'il avait mis les pieds dans le marché noir, il avait compris cette chose qui vivait en lui.
Cette chose, c'était l'ambition dévorante, l'envie de pouvoir et de bien-être. Il ne s'était que trop laissé faire par ce monde, il allait apprendre.
Chaque chose en son temps. Pour l'heure, Sui allait dormir, reprendre ses forces, et se préparer à l'étape du lendemain, qui les mènerait à Hagi. Souhaitant une bonne nuit à son camarade de toujours, il partit s'abriter au creux d'un des chariots.
(paroles piquées à Tolkien!) |
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