Mission rang D : Promouvoir l'évènement

Une feuille morte entama sa danse, portée par un vent frais, devant les yeux de Kehydan, enfouis sous le bandeau de son deuil. Il ne pouvait s'empêcher de sourire doucement, à l’intention du fantôme qui suivait le moindre de ses pas, de plus ou moins loin selon les jours. Parfois il avait la sensation de le perdre, de ne plus pouvoir distinguer que les contours flous de son visage, et d’autres fois, comme aujourd’hui, sa présence se faisait ressentir intensément, dans sa poitrine qui se soulevait au rythme serein de la vie. Quelques fois, il lui parlait même, à moins d'implorer son aide lors des moments difficile. Mais à cet instant, il se contentait d'accueillir cordialement cette chaleur diffuse qui l'habitait.

Appuyé contre l’embrasure de la porte, il prenait l’air avant d’aller faire un tour en ville, et éventuellement effectuer un léger crochet près de l’académie pour reprendre des cours qu’il esquivait de plus en plus. Son assiduité était « en dents de scie » selon ses enseignants plutôt mécontents. Il venait régulièrement, avec motivation, puis disparaissait sans le moindre signe avant-coureur et flemmardait dans les parcs et dans la forêt. Cela ne faisait pas de lui un élève apprécié, ni par les profs, ni par ses camarades.

Ce jour-là, il trouva l’énergie nécessaire afin de secouer sa morosité et trainer les pieds, sans but, à travers les larges couloirs déserts de l’académie. Depuis son arrivée à Konoha, il avait principalement assisté à des cours théoriques sur l’histoire des ninjas à travers le monde, et celui-ci commençait tout juste à se dessiner dans son esprit. Il ne s’était présenté qu’à une seule leçon au sujet d’une technique, car Valiran s’occupait déjà à fortifier son corps et son esprit disait-il. Mais le jeune garçon ne se sentait pas fondamentalement différent, même s’il avait quelque peu changé dans sa façon de vivre.

Il ralentit sa marche silencieuse en arrivant devant la salle des professeurs qui discutaient devant la porte entrouverte, une élève à la merci de l’un de ses enseignants. La jeune femme possédait de longs cheveux lisses, et sa pupille étrange ressemblait à celle de Hotaru qui l'avait accompagné lors de l'épisode épidémique qui s'était abattu sur Konoha. Il s’agissait donc très probablement d’une descendante de la lignée des Hyuuga, un clan respecté ici. Elle se faisait visiblement sermonner sous prétexte qu’elle ne participait pas suffisamment à sa vie de kunoichi ces derniers temps. Lorsque Kehydan reconnut le professeur Nabara qui discutait à côté, il su d’instinct, tel un pressentiment, que lui-même n’allait pas échapper à ce genre de remontrances. Son visage s’éclaira effectivement d’un sourire moqueur lorsqu’elle l’aperçut et elle saisit l’adolescent par les épaules pour le mener devant l'inconnue. Celui-ci vérifia tout de même, brièvement et avec méfiance, que la spécialiste en médecine ne tenait pas de scalpels ou couteaux sous la main. Les gens sont fous, par ici. Surtout elle. Et il tenait à rester entier, pas découpé en petit morceau pour tester il ne savait quelle technique. Bien que cela peut se révéler profitable, surtout en médecine.

[Nabara] Nara Hyuuga ? J’ai entendu que tu allais devoir préparer la grande course de Konoha, et pour t’aider dans ta tâche, je te confie cet aspirant.
[Kehydan] Hein ?
[Nabara] Tu t’appelles comment déjà ? Lyushan-kun ?
[Kehydan] Oui. Kehydan Lyushan.
Nabara] Eh bien, puisqu’elle a plutôt été inactive ces derniers temps, on lui confie l’organisation de la course pour essayer de la remettre dans le droit chemin. Et comme toi non plus, tu ne te montre pas vraiment actif ces derniers temps, je pense que ça te fera du bien de l’aider toi aussi.

Elle baissa son regard et tourna son poignet afin de regarder les aiguilles de sa montre argentée au fin bracelet, puis soupira d’un air qui n’avait rien d’exaspéré.

[Saya] Ah! Déjà l’heure d’y aller… Bon courage, et j’espère te voir bientôt dans mes cours.

Les autres professeurs partirent eux aussi rejoindre leurs salles, sauf quelques uns qui s'enfermèrent dans la pièce d’à côté en compagnie d’un bon café pour plaisanter dans le dos de leurs élèves. Il ne resta plus que la Hyuuga qui portait déjà un bandeau ninja, et le Lyushan un peu perplexe. Avaient-ils réellement le droit de lui confier un travail comme ça, sans qu’il ait son mot à dire ? Et puis, les informations qu’il avait obtenues étaient très succinctes. Il se tourna en direction de la genin – à moins qu’elle ne soit chuunin, en vérité, Kehydan n’en savait rien – et se décida à lui réclamer plus de précisions.

[Kehydan] Hmm… Je peux savoir c’est quoi cette course exactement ? Et on doit faire quoi pour la préparer ?

Il gardait ses sourcils froncés et un air très sérieux pour parler à Nara qui avait deux bonnes têtes de plus que lui. Mais sans lever le menton pour autant : une habitude qu’il avait perdue depuis qu’il portait son bandeau sur les yeux. Il n’avait plus besoin de regarder les gens dans les yeux, même s’il persistait à vouloir leur parler en face à face, ce que ne faisait pas toujours son maître. En tous les cas, il avait oublié de la saluer. Tout juste lui avait-il adressé un léger signe de tête lors des présentations, mais englouti dans le fil de la conversation et de ses pensées, cet enchainement lui paraissait naturel. Il espéra fugitivement qu'elle ne lui en tiendra pas rigueur si jamais elle remarquait cette impolitesse...

Kehydan hocha la tête à la proposition de Nara, mais il trouvait ses explications encore trop succinctes pour comprendre l’ampleur de la tâche. Il préféra se renseigner avant tout, afin d’éviter de mauvaises surprises.

[Kehydan] Excuse-moi, est-ce que je peux lire le document s’il te plaît ?

Il repensa soudain à son bandeau dont le tissu collait à sa peau, rendant son visage aveugle, et sourit à Nara.

[Kehydan] Malgré les apparences, je suis en mesure de lire, à ma façon…

Le dépliant en papier glacé décrivait les épreuves des précédentes sessions. Une course d’obstacles qui se déroulait dans Konoha tous les ans, et qui rassemblait sportifs et moins sportifs dans une ambiance décontractée. Des parcours de plusieurs niveaux pour que tous y trouvent son compte… Kehydan, n’étant pas Konohéen d’origine, n’avait jamais eu vent d’un tel évènement, qui devait pourtant se révéler sympathique. L’ordre de mission ajouté à la main à la fin du document était bref : assurer la promotion de l’évènement de cette année pour un budget de 700£, et ce avant la fin de la journée du lendemain. Une note ajoutait qu’ils recevraient une autre missive pour s’occuper des autres tâches. Cela semblait s’annoncer difficile. Deux jours pour une promotion, c’était juste… À première vue. Après tout, il ne savait pas réellement comment cela se passait. L’aspirant rendit le document à la genin à qui il avait été « confié » par le professeur Nabara.

[Nara] Viens, nous allons rendre visite à quelques graphistes.

L’étudiant hocha la tête, et lu les quelques adresses sélectionnées par Nara pour leur proximité géographique vis-à-vis de leur point de départ. Leur première destination : Omnigraph’, un studio comme un autre. Et dont le dirigeant éclata de rire à leur demande, tout naturellement.

[Omnigraph’] C’est une blague ?
[Kehydan] Non du tout…
[Omnigraph’] Parce que vous croyez qu’en vous pointant juste comme ça, on vous trouvera une place dans notre planning en un clin d’œil ? Pour 700£ impression comprise ? Désolé de briser votre doux rêve, mais vous avez très peu de chances que quelqu’un puisse accepter. En tout cas, inutile que nous perdions mutuellement notre temps. J’ai du travail, et vous aussi, même si c’est peine perdue…

Il les mit à la porte sans ménagement et repartit travailler, en se marrant encore grassement de la bonne « blague » qu’ils lui avaient faite. Consterné, Kehydan saisit mieux pourquoi ce genre de travail était devenu une mission… C’était limite impossible… Il se secoua intérieurement et tenta de reprendre son entrain habituel.

[Kehydan] Bon, pas grave, on a d’autres adresses où on peut tenter de négocier…

Au moment où ils s’éloignaient, la porte s’ouvrit brutalement dans leur dos en faisant sursauter l’aspirant qui était en train de se demander ce qui arrivait quand les ninjas (ou futurs ninjas) échouaient à une mission. L’homme souriait toujours.

[Omnigraph’] La plupart des entreprises, vous répondront comme moi...
[Kehydan] Mais pas forcément.
[Omnigraph’] C’est vrai. Néanmoins, je vous conseille de laisser tomber ça, et de rendre visite à Akihito.
[Kehydan] Qui est-ce ?
[Omnigraph’] Son entreprise a coulé récemment. Il devrait avoir du temps… Et j’ai entendu dire qu’il voulait reprendre du service, alors…
[Kehydan] Très bien, merci, nous passerons le voir !

L’homme leur indiqua là où vivait Akihito-san et cela remit du baume au cœur du jeune Lyushan. Ils pouvaient encore se sortir de l’impasse dans laquelle ils paraissaient être. Le chemin qu’ils empruntèrent les mena à une bicoque qui tombait en ruine, consolidée par des poutres pour la tenir debout, et dont les quelques trous sur la toiture et aux fenêtres étaient mal bouchés par des planches clouées à la va-vite. L’aspirant se sentit brusquement inquiet.

*Où suis-je tombé ?!*

Ils frappèrent, et un homme gras, aux traits marqués par la fatigue, la quarantaine passa la tête par la porte. D’un ton grincheux, il leur demanda ce qu’ils foutaient là. Kehydan devança Nara en répondant aussitôt.

[Kehydan] Konoha nous a confié la mission de créer, imprimer et distribuer des affiches et flyers pour faire de la pub à la prochaine Grande Course de Konoha pour un budget de 700£. Et de finir tout ça avant demain soir. Les entreprises disent qu’elles ont pas de place dans leur planning pour nous, alors le gérant d’Omnigraph’ nous a conseillé de venir voir monsieur Akihito.

Si l’aspirant ne portait pas son bandeau, il aurait vu une lueur s’allumer dans le regard de l’homme qui sourit.

[Akihito] C’est moi-même!

Il y eut un silence. Il passa sa main dans sa barbe de plusieurs jours, pensif…

[Akihito] Mais je ne comprends pas pourquoi cet enfoiré vous envoie… Après tout, c’est lui qui a fait couler ma boîte… S’il croit que je vais lui pardonner juste parce qu’il m’envoie du travail… tss…
[Kehydan] Alors ? Vous acceptez de nous aider ?
[Akihito] Hum… Oui, j’accepte. Entrez !

L’aspirant fronça le nez, mais se reprit aussitôt en sentant peser sur lui le regard d’Akihito. Il aurait préféré rester dehors. Quand est-ce que l’homme avait fait le ménage pour la dernière fois chez lui ? Et les odeurs… N’en parlons pas… où l’étudiant risquait de régurgiter sa dernière pomme avalée… En d’autres conditions, Kehydan se serait sans doute montré plus curieux envers l’homme, mais en l’état, il préférait garder la bouche fermée.

[Akihito] Vous savez ce que c’est, un budget de 700£ pour un projet de ce genre ?!

Hochement de tête négatif.

[Akihito] Une misère ! Et dans un délai aussi court en plus! Cela va être très difficile. Etant donné les circonstances, je veux que vous me filiez un coup de main en plus. Toi, l’aveugle… Tu perçois quoi ? Tu as l’air de te débrouiller pas trop mal…
[Kehydan] Heu… des formes… des textures…
[Akihito] Bon, en gros, t’es inutile.

Indifférence gravée sur le visage.

*S’il le dit… Il a carrément changé d’attitude depuis qu’on est entré… Il est ptet malade...*

[Akihito] Tu n’auras qu’à ranger et nettoyer un peu tout ça pendant que je bosse… Cela m’aidera dans mon travail, puisque j’ai besoin d’espace.

*...*

[Akihito] La fille, je travaille pas pour moins de 500£. J’te conseille de prendre le téléphone et d’appeler toutes les imprimeries pour en trouver une avec le prix le plus bas et une place dans leur planning… Pour une campagne de ce genre, je dirais bien qu’il faut 100 affiches et 200 flyers… Après tu me donneras ton avis sur mes créations. Hop, au boulot !

Kehydan n’en revenait pas. Il n’avait pas envie d’accomplir cette tâche. Il préférait le téléphone. Il soupira et se contenta de ramasser un bout de pizza moisi dans sa boîte en carton et de se mettre à la recherche de la poubelle. Il ne se pressait pas trop. De toute façon, il devait juste nettoyer et ranger un peu le temps qu’il travaille. Il n’avait aucune obligation de rendre la maison entièrement propre. Et puis, il faudrait plusieurs jours pour cela.