L'entraînement se passait bien. Du moins, il se passait, et c'était déjà quelque chose.
Les boules que relâchait Haya n'étaient pas bien impressionnantes. Elles ne laissaient pas même la moindre trace sur les murs qui servaient de repère à la jeune fille. Tout au juste une vague engelure, qui ne s'élargissait toutefois pas. Haya s'entraînait seule pour cette technique. Certains de ses amis la connaissaient déjà, d'autres n'étaient pas intéressés, mais quoi qu'il en soit, ils avaient tous autre chose à faire aujourd'hui.
Haya comptait bien profiter de la souplesse actuelle de son dos pour s'exercer, avant d'être à nouveau terrassée par la mort qui rampe en elle. Jamais tout à fait vaincue malgré la lourdeur des traitements, Haya sentait la mort en elle. Une partie de son corps, la mémoire physique, la mémoire de ses muscles, de ses os et de sa chair meurtrie, garde ce sentiment de mort en elle. Quand elle en prenait conscience, Haya avait envie de pleurer.
Elle faisait tout son possible pour l'ignorer. Se mentir à soi-même est un exercice avant tout philosophique. Un mensonge ne cesse-t-il pas d'en être un lorsqu'il est reconnu par un tiers comme tel ? Sans doute que oui. Haya se rattacha les cheveux d'une main lasse. Elle s'était accordée une brève pause. Cette technique ne lui résisterait pas bien longtemps. Déjà deux semaines depuis le dernier cours d'Hyô. Elle avait l'impression de progresser aussi vite qu'une… la métaphore ne lui venait pas. Qu'une araignée à laquelle on aurait arraché quatre pattes et brûlé les yeux, pour voir si elle pouvait dépasser ces handicaps pour se sublimer.
Certains des genin qu'elle fréquentait sortaient des cours, partaient s'entraîner en sifflotant, et revenaient deux heures plus tard en maîtrisant la technique. Waouh ! Mais comment faites-vous, pitié, je veux connaître l'astuce ? Elle ne devait pas s'entraîner suffisamment dur. Elle ne suait presque pas, ses joues étaient encore blanches et son souffle calme.
Elle laissa de côté son sandwich, fatiguée de l'étrange goût de cendre qu'elle avait l'impression de mâchonner depuis un moment. Il fallait qu'elle se concentre sur le mur. Elle visualisait les signes à exécuter, alors elle les exécuta. Deux boules apparurent bel et bien, mais d'une taille médiocre (pour ne pas dire risible, Haya était privé de tout œil extérieur pour faire les commentaires désobligeants à sa place alors, autant le remplacer). Elles s'égratignèrent contre le mur avec une certaine mollesse, et Haya se demanda si c'était vraiment elle qui avait lancé ces deux billes… Elle se gratta la tête et dû arriver à la conclusion suivante : elle avait l'esprit trop encombré pour faire du travail propre. La jeune fille s'assit alors à nouveau. Elle avait deux problèmes à régler. Ou trois, elle ne savait pas bien, mais quelque chose lui disait qu'ils étaient liés. Premièrement, il fallait qu'elle récupère sa voix. Ses essais (pathétiques) toujours couronnés d'un échec blessant l'épuisaient. Elle était parfaitement aphone, et le pire, c'est qu'elle commençait à oublier le son de sa propre voix. Impossible à présent d'en percevoir les nuances, les intonations, les marques. Peut-être n'aurait-elle pas tout à fait la même voix, quand elle la retrouvera ? Une voix… qui ne lui appartenait pas ? Elle frissonna. Le deuxième point à régler, c'était Hyô et Iba. Les silences de l'un, les révélations de l'autre ; tout cela lui donnait mal à la tête.
Pour le moment, il lui fallait se concentrer sur la technique.
Une nouvelle fois, Haya réalisa les signes nécessaires à la réalisation de Teppou Dama. Elle se redressa, et cracha une boule d'eau qui partit mourir contre le mur. Elle n'inspirait pas assez de chakra. Le dragon aqueux était plus aisé, en cela qu'il n'y avait aucune opération physique à subir. L'eau utilisée était externe, le dragon prenait formes aux pieds de celui qui l'avait invoqué. Pas au creux de son estomac. Mais à bien y réfléchir, l'estomac était le lieu le facile à utiliser, puisque le chakra s'y amassait, prêt à être malaxé. Ainsi, il ne restait qu'à se servir. Produire suffisamment de chakra pour le cracher au mur. En deux boules. Facile.
Haya réitéra la même opération pendant deux, puis trois heures supplémentaires, en coupant ses efforts par de fréquentes pauses. Elle suait à grosses gouttes, et elle arrivait à bout de force. Le chakra commençait à se faire rare dans son corps. Elle s'assit tranquillement contre un arbre, à quelques pas du mur humide. Les jambes allongées dans l'herbe rase, elle laissa aller ses pensées et finit par s'assoupir.
Haya ouvrit les yeux vivement, un petit hoquet prisonnier de la gorge. Elle n'avait pas eu le temps de rêver, autant qu'elle puisse en juger. Il faisait encore jour. C'était simplement un rayon de soleil qui s'était perdu contre sa paupière, et qui l'avait éveillée. Elle sourit, s'étira, puis se redressa. La jeune fille s'essuya les cuisses, où des feuilles mortes s'étaient accrochées. Elle fit plusieurs pas, pour se rafraîchir les muscles, et reprit l'entraînement quelques minutes plus tard.
Curieusement, le résultat lui semblait plus probant. Elle réussissait à matérialiser deux boules d'une taille, certes, petite, mais cela ne devait pas être très étonnant. Son niveau n'était pas élevé, peut-être qu'elle réussira un jour à relâcher un Teppou Dama de la puissance de celui d'Hyô. Cela lui rappelait la technique utilisée par le jeune homme contre lequel elle s'était battue. Malgré le temps qui s'était écoulé, elle ne l'avait pas revu à l'académie ou ailleurs. Peut-être était-il vraiment mort. Elle ne connaissait pas même son nom. Avoir tué un inconnu… la dérangeait, quelque part, mais pas pour le fait de tuer. C'était l'incertitude qui lui posait problème. S'il était vivant, elle finira par le recroiser – et l'avenir décidera de ce qui se passera alors, une nouvelle bataille ou autre chose. De l'indifférence, peut-être.
Haya ne s'expliqua pas la joie féroce qu'elle ressentait alors qu'elle maîtrisait, peu ou proue, une technique qui avait été utilisée contre elle. Cela simplifiait tout. Ses adversaires n'étaient pas extraordinaires ; ils suivaient les mêmes cours qu'elle. Ou d'autres. Mais les puissances devaient être égales. Probablement. La jeune fille s'épongea le front, et préféra retourner chez elle plutôt que poursuivre son entraînement. Travailler seule l'épuisait, et ne la motivait pas, même si cela n'était sans doute pas un argument. De plus, le temps commençait à se couvrir, un vent léger s'était levé, et elle ne comptait pas tomber malade.
Alors qu'elle parcourait les ruelles de Kiri, Haya rencontra le garçon des toits. Il la dévisagea, et la salua d'un signe de tête. C'était bien la première fois qu'il lui disait bonjour. Elle haussa les sourcils, et ne répondit pas tout de suite. Puis elle se fendit d'un fin sourire.
Quand les cours étaient finis, il arrivait qu'Haya aille se détendre sur les toits des demeures du village. Elles étaient grises, similaires, pas très jolies à regarder, pas très agréables pour s'asseoir. Mais elle aimait la vue. Observer les gens vaquer à leurs occupations, s'affairer à leur commerce. Regarder les enfants courir, car il y avait des enfants à Kiri, et qui riaient et jouaient, même. La jeune fille s'imaginait la vie de certaines des personnes, qu'elle choisissait au hasard dans la rue. Celui-ci partait voir sa maîtresse, et cet autre-là venait de se faire crier dessus. Elle contemplait le panel d'émotions qui se dégageait, de la colère, de la jalousie, de la joie, de la mélancolie. Et eux, le garçon des toits et elle, eux ne ressentaient rien. L'espace de quelques heures, il s'écartait du monde pour l'étudier. A l'écart. Tranquillement.
Il n'était pas toujours là, et quand elle le voyait, Haya ne lui faisait aucun signe. Lui non plus. Même quand c'était elle qui arrivait après lui. C'était ainsi, ils n'avaient aucune intention de modifier cela. Elle s'asseyait, et elle contemplait. Il écrivait, parfois, mais le plus souvent il se tenait seulement là. Ils étaient solitaires à deux.
Haya ne s'arrêta pas pour lui parler. Il l'aurait souhaité, cela se sentait. Mais elle passa à côté de lui, et rentra chez elle. Elle se fit couler un bain, et plongea dedans jusqu'à être complètement immergée. Le monde était si différent, sous l'eau ! La voix du voisin d'en bas apparaissait plus clairement, comme s'il était dans la salle de bain avec elle. La pensée n'était guère heureuse. Mais ici, elle pouvait complètement se livrer à sa faiblesse. Une douce, douce sensation. Et dangereuse aussi, un peu, si l'on n'y prend pas garde.
Haya émergea.
Du bout du doigt, elle jouait avec l'eau. Grâce à son chakra, elle parvenait à l'élever dans les airs, courir sur son corps, comme un petit serpent de rivière. Une fois, elle en avait attrapé un avec sa sœur. Il lui glissait entre les doigts, et elle riait devant la mine effrayée et dégoûtée de Kaoru, tout en étant elle-même terrifiait à l'idée de se faire mordre. Elle avait appris plus tard que ces serpents ne faisaient que pincer, il n'avait pas de crocs, ou de si petits que cela ne faisait pas beaucoup plus mal que des ongles de petite fille. Aujourd'hui, elle était genin, et cela sonnait comme une chanson totalement nouvelle, qui éloignait tout ce qu'elle avait jamais été. Avait-elle vraiment été une jeune fille normale, à jouer dans des champs cultivés, à chasser des insectes avec des amis et à écouter des histoires à dormir debout ? Depuis quand personne ne lui avait raconté d'histoires ? Oh, il n'y avait personne pour la juger dans cette pièce. Pour lui dire qu'elle avait passé l'âge, pour lui rappeler qu'elle avait peut-être tué quelqu'un alors que tout cela était sans importance. Mais ce n'était pas le cas pour elle.
Son père lui manquait. Elle ne savait même pas s'il était vivant. La dernière chose qu'elle tenait de lui, c'était ce mot. La fuite ou la mort. Va Yuma. Pourquoi ne l'avait-elle pas écouté ? Elle avait cru à une blague. Il s'en était fallu de peu, hé ? Elle aurait prévenu Kaoru, qui aurait fait la moue, qui l'aurait trouvée stupide, mais qui aurait cédait, ne serait-ce que pour lui faire plaisir (ou pour qu'elle la laisse en paix). Elle aurait pris Murasaki par la main, et ensemble, elles auraient couru vers là où résidait Yuma, leur frère. Et lui, était-il en vie ? Il n'avait jamais, jamais repris contact. Comment pouvait-il devinait que désormais, sa sœur se battait pour Kiri ? Il trouverait l'idée stupide. Elle n'avait jamais vu son frère se battre, ou même perdre patience. Il était aussi fort que son père, mais il ne l'utilisait jamais. Personne ne l'ennuyait, de toute façon. Haya ferma les yeux. Aujourd'hui, elle ne souhaitait pas pleurer. Alors elle continua à jouer avec l'eau.
C'était curieux, mais son doigt savait quoi faire. Elle jouait, comme si elle l'avait fait toute sa vie. Comme si… elle frissonna à nouveau. Iba devait avoir raison. Elle était comme lui. Cela signifiait-il que (idée stupide) que Kade, son père, était un shinobi ? Ou avait des connaissances de shinobi ? Non. Elle devait être une sorte d'anomalie, ou bien pire, elle n'était rien de ce qu'Iba supposait, rien qu'une fille normale qui s'imaginait des choses. C'était une idée commode.
Rien qu'avec sa main, Haya levait plusieurs litres d'eau. Elle utilisait un peu de chakra. Et puis, il lui vint l'idée de cumuler les deux. L'eau retomba en l'éclaboussant, elle et le sol, et elle réalisa les signes du dragon aqueux. La tête, plus grande qu'elle ne l'aurait souhaité, partit s'écraser contre le mur. Les carreaux tremblèrent, et un trou apparut. C'était stupide. Mais Haya recommença. Cette fois-ci, la masse d'eau fut plus grande, alors qu'elle s'était efforcée de conserver strictement la même dose de chakra. Deux carreaux tombèrent à grand fracas dans la baignoire. Haya sursauta. Elle se déplaça et retira les carreaux, qu'elle déposa sur le tapis trempé.
Pourquoi l'eau lui obéissait-elle ainsi ? Est-ce qu'il s'agissait de quelque chose de commun, d'habituel à ceux qui partageaient ce… pouvoir… dont parlait Iba ? Hyô lui avait dit qu'elle était plus puissante qu'elle ne le pensait. Parce qu'elle partageait son pouvoir ? …
Parce qu'Hyô faisait parti de sa famille ? Haya se redressa vivement, les sourcils froncés. Elle se serait souvenue d'un parent aussi illustre. La légende d'Hyô dépassait les maigres frontières du village de Kiri et son père devait connaître son nom, sinon ce qui l'entourait. Et elle espérait qu'Hyô aurait été un peu plus explicite. Non, Hyô ne faisait pas parti de sa famille. Cela ne signifiait pas qu'ils n'avaient aucun lien. Elle se souvenait de son regard, des traits de son visage, quand il s'était penché sur elle.
Haya se leva, enjamba le rebord de la baignoire et se sécha rapidement. Elle enfila un peignoir et sortit dans le salon, les cheveux encore humides.
Elle était fatiguée et, à coup sûr, elle allait dormir comme une masse.