Kaede était assise sur sa paillasse, et fixait d’un ton absent une fissure qui serpentait sournoisement sur le mur qui lui faisait face. Elle était loin. Très loin. De l’humiliation de la veille, il ne lui restait que quelques vagues images brouillonnes qu’elle ne parvenait pas à rassembler ou à discipliner pour former des souvenirs précis. Elle revoyait vaguement Hiza et ses mains pleines de sang, le regard désolé de Oda et la balafra répugnante du chunin qu’elle ne connaissait pas.
C’est à peine si Kaede aurait été capable de dire comment elle était rentrée de la plage jusqu’à son appartement. Il y en avait pour une assez longue demi-heure de marche et il ne lui en restait aucun souvenir. C’était comme si un simple battement de cil avait suffi à la ramener de la plage grisâtre à sa paillasse défaite où elle avait passé la nuit, immobile et silencieuse, peignant mentalement sur le plafond crasseux les motifs rouges et noirs de sa colère et de sa tristesse.
Kaede jeta un coup d’œil à son réveil. Il était onze heures du matin. Et elle n’avait rien fait. Elle n’avait pas mangé, ne s’était pas levée – tout au plus s’était-elle vaguement redressée pour se retrouver dans la position assise qui était maintenant la sienne – elle ne s’était même pas changée ! Elle portait encore la veste de combat qu’elle portait au cours de l’affrontement de la veille. Le devant du vêtement était tâché du sang qui avait coulé de la lèvre de Kaede.
La jeune kunoichi finit par se lever, et elle se traîna jusqu’au petit miroir carré qui ornait un des murs de la minuscule salle de bain. Sa lèvre était encore bien entaillée, même si une croûte particulièrement peu appétissante barrait sa bouche, attestant de la bonne voie que prenait la cicatrisation. Soupirant, elle fit glisser aux sols ses vêtements et actionna le jet de la douche. L’eau bouillante lui fit le plus grand bien, et lorsqu’au bout d’un temps qu’elle ne saurait estimer, Kaede sortit et entreprit de se sécher, elle avait les idées bien plus claires. Ce qui n’était pas pour autant une bénédiction… Elle revoyait précisément la scène de la veille maintenant, et la façon dont Oda lui avait expressément formulé la honteuse sentence : son maître la reniait.
Kaede se sentait comme un homme qui, tombant du haut d’un ravin vertigineux – parvient à se rattraper à une branche, et qui goûte quelques instants au bonheur d’être sauvé avant que la branche ne se brise, précipitant à nouveau la chute. Petite, elle avait été reniée par son clan qui la considérait comme un traître. Les kiréens un tant soit peu informés du déroulement du coup d’état savait que les Uriyamas étaient du côté des rebelles, et tous regardaient maintenant Kaede comme une potentielle menance pour la sérénité du village.
Ces dernières semaines lui avaient pourtant faits le plus grand bien : ses entrainements portaient enfin leurs fruits, et Kaede se sentait finalement prête à faire face. Mais la branche s’était délogée, et la voilà qui chutait à nouveau.
« Ta gueule… » Murmura-t-elle à haute voix à l’attention de la petite voix intérieure suraigüe qui répétait complaisamment depuis des heures : « T’es dans la merde. T’es dans la merde. T’es dans la merde. »
Kaede fut finalement tirée de son auto apitoiement par une série de coups brusques frappée à la porte. Que faire ? La dernière chose dont elle avait besoin était de recevoir de la visite. Elle enfila en vitesse le kimono qu’elle portait quand elle était en civil, et se prépara mentalement à ouvrir la porte.
« Et si c’était la police du village, hein ? Et s’ils te demandaient de leur remettre ton bandeau ? Et si… »
« Kaede ! Ouvre ! C’est Yahei ! »
La jeune kunoichi eut un soupir de soulagement, et ouvrit la porte à son équipier. Enfin. Son ancien équipier. Dès qu’elle eut ouvert le battant, Yahei entra à grand pas se planta devant son amie.
« Qu’est-ce qui t’as pris putain ? » demanda-t-il. Il semblait plus triste, plus étonné, que vraiment en colère.
« Je sais pas… Je voulais savoir si elle était vraiment meilleure que moi… ». Le ton de Kaede était faible, honteux.
« Mais … Evidemment qu’elle est meilleure que toi ! Elle est meilleure que moi aussi ! Et meilleure que les trois quarts des genins de ce village ! Et alors ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? »
Kaede ne répondit pas et alla s’assoir à la table de la cuisine. Yahei vint la rejoindre et, après avoir décliné la proposition de Kaede lui demandant s’il souhaitait du thé, il déclara :
« Je ne suis pas venu prendre le thé Kaede. Maintenant qu’il est clair que nous ne sommes plus dans la même équipe, et que tu n’as plus de maître, je suis venu te demander ce que tu comptais faire… »
« Comment ça ? »
« Sans maître, tu ne progresseras pas. Nous n’avons pas le niveau pour pouvoir nous entrainer seuls. Il nous faut un mentor. Hiza a Oda. J’ai Oda. Et toi, tu as qui maintenant ? Oda ne te formera plus et – excuse moi – personne de ta famille n’acceptera de te file run coup de main. Quand à moi, je te refilerai volontiers les tuyaux que nous donnera Oda, mais ça ne sera clairement pas suffisant pour faire de toi une kunoichi ! Alors ? »
Kaede haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Franchement, je ne suis pas sûr de vouloir continuer ça… Ce serait peut-être bien plus sage de laisser tomber ma formation… »
« Conneries ! Non seulement tu es plus douée que tu ne sembles vouloir le dire – mais moins qu’Hiza, je sais » ajouta-t-il en voyant Kaede faire mine de dire quelque chose. « Mais en plus, ça reste le meilleur moyen pour montrer ta loyauté à Kiri ! Alors bouge toi ! Remue toi ! Et trouve toi un maître, c’est compris ? »
Kaede ne répondit pas tout de suite, se contentant d’abord de sourire tristement en jouant avec la poussière qui recouvrait la table.
« Personne ne m’acceptera comme élève, tu le sais très bien. Allez, pars. Oda doit t’attendre. Il faut que tu t’entraînes. »
« Tu veux que je parle à Oda ? » demanda Yahei. « Lui demander s’il ne peut pas revenir sur son avis ? »
« Surtout pas. Non. Mais tu as raison, je vais chercher un peu de mon côté. Peut-être quelqu’un acceptera de me former. »
Ils parlèrent encore quelques instants, puis Yahei du prendre congé pour rejoindre le terrain d’entraînement où il avait rendez vous. Kaede demeura seule dans son appartement. Elle faisait défiler dans son crâne tous les chunins instructeurs qu’elle connaissait, cherchant désespérément auquel d’entre eux elle pourrait demander de l’aide. Finalement, la réponse vint plus rapidement qu’elle ne l’aurait imaginé.
« Ayumi Sokuro »
En fait c’était évident. L’instructrice s’était montré patiente et agréable avec elle, et Kaede sut instinctivement qu’Ayumi pourrait l’aider. Du moins dans un premier temps. Aussi vite qu’elle pouvait le faire, Kaede enfila ses vêtements militaire, noua son bandeau autour de son front, et s’empressa de sortir en courant dans la rue.
« Y a encore une chance. Y a encore une chance. Y a encore une chance » murmurait à présent la voix.